Les Flagey Piano Days ne sont pas qu’une simple célébration de l’instrument à clavier. Ils sont aussi un véritable carrefour où se retrouvent les interprètes et Boris Giltburg, artiste en résidence, a pu en profiter pour inviter le Pavel Haas Quartet autour du Quintette en fa mineur de César Franck. C’était également l’occasion de rendre hommage au compositeur belge pour le bicentenaire de sa naissance en le faisant cohabiter avec deux de ses héritiers spirituels : Ravel et Debussy.

Boris Giltburg et le Pavel Haas Quartet
© Sasha Gusov (pour Giltburg) / Boris Giltburg (pour le quatuor)

Les interprètes prennent à bras le corps les pièces de Ravel et de Franck et en offrent une vision assez personnelle. Avec fougue, ils arrachent les grandes lignes du dernier mouvement du Trio à coup de trilles tendus et de dynamiques titanesques. Mais sans se faire trop agressifs, ils savent également allonger leurs coups d’archet pour donner du corps à l’œuvre de Franck. C’est surtout dans la cohésion de l’ensemble que réside la franche réussite de cette soirée. On aurait pu parler d’alchimie ou de parfaite entente, mais le phénomène est au-delà de cela : c’est une électricité, une tension de tous les instants qui règne et gouverne les moindres inflexions musicales. À travers leurs corps agités et les accents furieux de certains passages, les cinq musiciens créent un relief escarpé mais cohérent. On reconnaît également le savoir-faire des artistes de par la délicatesse et le miroitement qu’ils apportent aux passages plus intimes : d’un côté l’ombre et la brume épaisse du Lento du Quintette et, de l’autre, l’ondoyante clarté du début du finale du Trio.

Dans cet ensemble bien rôdé, les individualités sont tout aussi remarquables. Les inflexions souples et puissantes du piano de Giltburg conduisent avec beaucoup de grâce les phrasés de ses partenaires. On retient en particulier le début de la Passacaille dans le Trio de Ravel : les abysses fascinants du piano garantissent une atmosphère idéale afin que le violoncelliste Peter Jarůšek déploie son chant. Et le beau chant, pour les musiciens du quatuor tchèque, c’est une évidence : le violoncelle de Jarůšek est un exemple tant sur le plan du timbre, chaud et boisé, que sur le plan de l’éloquence, avec des coups d’archet puissants et élégants. On apprécie également le piquant et la hargne de Veronika Jarůšková au premier violon qui, même si elle accuse parfois des soucis d’intonation, insuffle une énergie implacable à l’ensemble.

Avant cela, Boris Giltburg avait déjà donné le ton de la soirée avec, en ouverture de concert, une Suite bergamasque en toute intimité. Sa sensibilité à fleur de peau fait merveille dans les miroitements du piano debussyste. Si l’on goûte avec beaucoup de plaisir le Passepied et le Menuet, francs et souriants, c’est dans le Prélude et surtout le Clair de lune qu’il s’illustre particulièrement grâce à la liquidité de son toucher, ses perlés délicieux et les jeux de résonance qu’il manie à la perfection. Lorsque surviennent ces ambiances sous-marines, le temps s’arrête : le tempo est fort retenu, aucune nuance ne s’aventure au-delà du mezzo-forte, tout est contenu dans une même teinte et pourtant, le discours est sous-tendu avec une telle sincérité qu’on ne peut en critiquer aucun aspect.

Les qualités du Premier Prix du Concours Reine Elisabeth 2013 sont certes indéniables, mais l’on se réjouit également de l’invitation du Pavel Haas Quartet qui prouve l’intelligence aussi bien personnelle que collective de ce pianiste. Les artistes nous gratifieront même d’un petit clin d’œil à leur enregistrement commun de 2017 autour des quintettes d’Antonin Dvořák, puisqu’ils nous offriront en guise de bis le scherzo de l’opus 81.

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