« Schumann disait des mazurkas de Chopin qu’elles étaient des canons cachés sur des fleurs », lance Gaspard Dehaene d’une voix fébrile, tenant à dire deux mots au public de la Salle Gaveau venu en nombre pour l’écouter dans un récital tout Chopin. Sa courte prise de parole, qui tend à livrer quelques clés d’écoute, notamment sur les influences folkloriques dans l’œuvre du compositeur, intervient juste après le Nocturne en do dièse mineur, dont l’interprétation étonnamment distante et rigide laisse entrevoir un récital mitigé.

Gaspard Dehaene Salle Gaveau © Thomas Morel-Fort / 1001 Notes
Gaspard Dehaene Salle Gaveau
© Thomas Morel-Fort / 1001 Notes

Ce sont bien les onze mazurkas qui dominent le programme, dont Dehaene a souligné, dans son avant-propos, le caractère rustique et la corrélation à la nostalgie de Chopin pour sa Pologne natale. Le pianiste en propose une lecture qui attire l’oreille sur les accents irréguliers, les surprises harmoniques, les ruptures de caractère – comme la Mazurka en ré bémol majeur de l’opus 30, véritable petit théâtre mélodramatique, ou le ternaire inégal et boiteux de la Mazurka en do dièse mineur de l’opus 63 qui confère à la pièce son charme particulier. On regrette cependant une main droite trop raide qui empêche le déploiement d’un legato ici peu perceptible, ainsi qu’un décevant manque d’évanescence et de mystère, le pianiste campant sur une palette de nuances et de couleurs trop restreinte pour complètement séduire dans ces pièces.

Le reste du récital suscite le même sentiment partagé. Le balancement imperturbable, stable et serein de la Berceuse laisse entrevoir chez Dehaene un peu d’abandon et de détente, le pianiste veillant à l’équilibre des chants et des contrechants ; a contrario, le pianiste pèche dans la Barcarolle par un défaut de tendresse et de lâcher-prise où se fait ressentir tout sa nervosité. La Polonaise opus 44 perd quant à elle en cohérence dans une interprétation qui hésite entre authenticité et tenue aristocratique, épanchement et rigidité expressive, en dépit pourtant de plaisants moyens pianistiques (franchise des attaques, projection solide, main gauche affirmée, trilles conquérants…).

Une Quatrième Ballade verticale et aseptisée conclut le récital en laissant un constat amer : dans un format classique et un répertoire battu et rebattu, le pari était risqué de tout miser sur un compositeur, d’autant plus emblématique que l’est Chopin pour les pianistes…

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