La première fois qu'un chef dirige un orchestre, c’est l’histoire d’une rencontre. On ne sait pas si le courant va passer. Parfois l'alchimie prend, d'autres fois la rencontre n'a pas lieu. Alors, la première fois qu'un chef dirige les Berliner Philharmoniker, c’est un baptême du feu plutôt marquant dans sa carrière. Ce soir, le jeune pianiste et chef russe Maxim Emelyanychev s'en est sorti haut la main.

Maxim Emelyanychev dirige les Berliner Philharmoniker
© Bettina Stöss

Grand sourire, démarche élancée et décidée, Maxim Emelyanychev entre en scène avec une envie et un dynamisme débordants. Il ne perd pas de temps en politesse, diplomatie ou courbettes et s’élance directement dans l’ouverture des Noces de Figaro. Combien de fois dans sa carrière un musicien d'orchestre joue-t-il cette pièce ? Ce soir, les Berliner Philharmoniker sont véritablement mus par le dynamisme du chef principal du Scottish Chamber Orchestra. Sans podium, celui-ci se déplace littéralement tout autour du pianoforte devant lequel est placé son pupitre, pour être au plus près des musiciens.

Le programme, entièrement dédié à Mozart, implique un orchestre de taille réduite et donc une proximité du chef avec les pupitres. Cela donne l'impression que les musiciens nous ont ouvert les portes d'une répétition tant l'atmosphère est presque confidentielle et l’énergie qui s'en dégage, intense. Sans surprise, Maxim Emelyanychev est généreusement applaudi par le public de la Philharmonie – qui affiche presque complet – ainsi que par les musiciens qui lui adressent de grands sourires approbateurs. La rencontre a eu lieu. Le concert peut continuer.

Sabine Devieilhe, Maxim Emelyanychev et les Berliner Philharmoniker
© Bettina Stöss

L'autre belle rencontre pour les Berliner Philharmoniker ce soir est celle de Sabine Devieilhe, la soprano colorature française qui excelle dans le répertoire mozartien. Elle rejoint donc Maxim Emelyanychev pour un programme d’ailleurs très équilibré mettant autant en avant la soprano, le chef et les musiciens : un véritable plaisir pour les artistes comme pour le public ! En guise d’introduction, Sabine Devieilhe et Maxim Emelyanychev offrent un duo empli de douceur et de finesse avec l’aria « Oiseaux, si tous les ans ». Pour cette parenthèse de deux minutes sans l’orchestre, le chef est au pianoforte et la chanteuse à ses côtés. L’orchestre les entoure et on sent que chacun des musiciens, au même titre que le reste du public, savoure ce moment suspendu. La soprano impressionne par sa technique impeccable autant dans les passages vibrés que dans des aigus d’une clarté pure, même dans les nuances piano de l’aria « Zeffiretti lusinghieri » extraite d’Idoménée. Et on se délecte de ses envolées tout en maîtrise et en contenance dans l’air de Constance de L’Enlèvement au sérail. Sabine Devieilhe donne une impression de facilité constante sans jamais manquer de puissance lorsque c'est nécessaire.

Dans le « Et incarnatus est » de la Messe en ut mineur, la soprano quitte le devant de la scène pour venir se placer près de la petite harmonie, juste à côté des flûtistes pour un magnifique quatuor avec le hautbois, la flûte et le basson solo. Elle continue d'impressionner, notamment dans la réalisation de grands intervalles sans aucune hésitation dans les yeux ou dans la voix. Après de longs applaudissements, la chanteuse revient sur scène pour un bis plus intimiste avec la mélodie « Après un rêve » de Fauré, où Maxim Emelyanychev l’accompagne également au pianoforte, faisant écho à la première aria de la soirée.

Les Berliner Philharmoniker interprètent Mozart
© Bettina Stöss

Au cœur du programme, entre les pièces chantées, la soprano et le chef quittent la scène pour laisser la place libre aux Berliner Philharmoniker avec la Sérénade en ré K239. Un quatuor de solistes (deux violons, alto et contrebasse) vient se positionner au cœur de l’orchestre et échange avec le reste de l’orchestre lors de ce sympathique interlude instrumental.

Pour terminer la soirée en beauté, les Berliner Philharmoniker et Maxim Emelyanychev interprètent la Symphonie n° 38 en ré majeur dite « Prague ». Le chef multiplie les mouvements amples et aériens alors que les musiciens échangent des regards expressifs. On retiendra le jeu passionné des violoncellistes du pupitre mené par le Français Bruno Delepelaire, ainsi que le magnifique duo entre la flûte et le hautbois solo (au troisième mouvement) dont le tempo soutenu n’entrave en rien l’expression des timbres des deux instruments, parfaitement rendus. On est emporté par la liesse générale des musiciens guidés par Maxim Emelyanychev qui lui-même enchaîne les mesures sans tourner les pages de son conducteur, tellement il est entièrement absorbé par l’interprétation. Cette deuxième partie, tout aussi intense que la première, clôt donc un concert dont on sort plein d’énergie et d’enthousiasme, et dont on se rappellera assurément.

*****