La fantaisie de l’opéra napolitain et le mystère historique des castrats exercent un pouvoir particulier, ainsi qu’en témoigne ce 24 janvier la foule venue entendre à Gaveau le contre-ténor franco-argentin Franco Fagioli, artiste habitué des lieux depuis 2013.

Autour du chanteur, une formation réduite conduite par le violoniste Andrés Gabetta offre dans le court ostinato introductif de Purcell (un bien étrange invité dans cette fête napolitaine) un son court, des attaques franches et sauvages, maniérismes survitaminés qui nuisent à la mise en place et simplifient les caractères. L’ensemble prendra cependant ses marques au fil du concert autour d’une violoncelliste au jeu très incarné (Claire-Lise Demettre), et d’un bassoniste (et flûtiste à bec) délicieusement expressif dans le « Scherza infida » de Haendel (Alessandro Nasello). Le théorbiste Miguel Rincon et la claveciniste Yoko Nakamura donnent relief et horizontalité au discours impétueux de Gabetta dont l’interprétation du Concerto « Grosso Mogul » de Vivaldi donne à entendre une profusion de triples croches et autres figures virtuoses impeccablement exécutées dans les mouvements extrêmes, et de sinueuses propositions ornementales dans le fameux récitatif central. Hélas, la palette de couleurs et la projection ne sont guère comparables à celles des violonistes italiens de la scène baroque actuelle.
Ce soir, on apprécie surtout la polyvalence d’un ensemble prompt à brosser la dimension souvent extravagante des airs choisis par le contre-ténor. Depuis le début de sa carrière, Fagioli se frotte à l’art oublié des castrats ; sa voix singulière peut en effet prétendre à donner vie à deux types d’airs composés sur mesure pour ces fabuleux gosiers, l’air élégiaque où une soufflerie d’exception est requise et l’air de virtuosité qui exige une vocalisation impeccable sur une étendue exceptionnelle. Le programme de ce concert reprend l’essentiel du contenu de deux parutions discographiques consacrées à Vinci et Haendel enrichi de tubes incontournables, tels l’époustouflant « Vo solcando » de Vinci et le noble « Alto Giove » de Porpora.
Le premier air « Quell’usignolo » où le texte évoque le chant du rossignol est une déclaration de guerre aux détracteurs du chanteur parfois critiqué pour son goût maniéré. L’assistance retient son souffle, la question est sur toutes les lèvres : Fagioli serait-il le fils caché de Nella Anfuso et d'Yma Sumac ? En effet trilles enchainés et notes répétées surchargent une ligne de chant pointilliste, proposition presque dérangeante qui fait rapidement place à un « Agitato da fiere tempeste » de Haendel plein de santé, où le registre de poitrine totalement assumé voisine avec des aigus ronds et triomphants. Dans le même genre, le « Vol solcando » de Vinci montre une étendue des moyens encore supérieure – égalité de timbre sur d’acrobatiques triolets, intervalles vertigineux, cadences idéalement exécutées. Pianissimos impalpables, attention suprême au mot, ligne de chant impeccable nourrissent un très désolé « Gelido in ogni vena » de Vinci, la reprise du « Scherza infida » de Haendel et l’« Alto Giove » de Porpora attestent une maîtrise du souffle infinie et une expressivité toujours neuve, l’incarnation et la variété des couleurs sont confondantes.
Toujours aussi frais après un tel florilège, le chanteur argentin proposera deux bis, un magnifique « Come nube » de Haendel et le délicat « Lieto cosi » de Pergolese. Plus de deux heures après le début du concert, on en redemande…