Le célébrissime Bolero de Ravel a inspiré beaucoup d’artistes, désireux de proposer leur propre interprétation de l’irrésistible montée progressive qui caractérise cette musique. En 1996, Odile Duboc a même ressenti le besoin de créer trois boléros ! C’est le numéro un que l’Ensemble chorégraphique du CNSMDP défend ce jeudi soir dans le cadre du Festival Faits d'hiver, à la Scène nationale de Malakoff (Théâtre 71). Une ouverture de soirée tout en douceur et immédiatement prenante. 

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Le Bolero d'Odile Duboc, par l'Ensemble chorégraphique du CNSMDP
© Ferrante Ferranti

Contrairement à la structure de la partition, le propos d’Odile Duboc ne se contente pas d’une évolution logique et linéaire qui serait calquée sur la rythmique si obsédante imaginée par Ravel. La légèreté et la poésie qui se dégagent des danseuses et danseurs en blanc s’amplifient à mesure que les interactions se multiplient, comme si l’accélération de la danse facilitait la rencontre. Aucune virtuosité visible ne se dégage des mouvements épurés effectués par les interprètes de manière simultanée ou par petits groupes ; une très belle énergie circule entre les corps, rendue perceptible par les portés lents qui éclosent régulièrement et par les échanges de regards apaisés et confiants, d’où émane le charisme manifeste de chaque élève. L’apparente simplicité de l’œuvre met en valeur la richesse et la subtilité de rapports engendrés selon une logique en aucun cas cousue de fil blanc, dans un cadre censément normé et contraignant.

Le Festival Faits d’hiver se définit comme « foisonnant, pluriel, audacieux » et « s’attache à représenter toutes les esthétiques de la danse contemporaine ». La suite du programme va en effet proposer des œuvres aux styles tout à fait différents. Entropie de Léo Lérus (2019) contraste d’emblée tant d’un point de vue visuel que sonore : les costumes aux couleurs chaudes et aux formes stylisées recouvrent des corps hyperactifs qui resteront majoritairement de dos, se laissant emporter par la pulsation entraînante de la musique solaire et euphorisante conçue par le chorégraphe lui-même en association avec Gilbert Nouno. Une joie intarissable s’empare donc des interprètes et ne les lâche plus, leur donnant l’énergie de déchaîner leurs membres sans répit avec une vigueur stupéfiante, se défoulant en quelque sorte ensemble mais sans jamais entrer en contact physique.

<i>Entropie</i> de Léo Lérus, par l'Ensemble chorégraphique du CNSMDP &copy; Ferrante Ferranti
Entropie de Léo Lérus, par l'Ensemble chorégraphique du CNSMDP
© Ferrante Ferranti

Après une première salve de sonorités caribéennes – le chorégraphe ayant à cœur de mettre en valeur l’identité guadeloupéenne dans ses créations –, le flux musical se change en progressive (un genre spécifique de techno), et là tout devient électrique : on assiste à une véritable libération des corps, qui se livrent de plus en plus entièrement à leur état de transe, et c’est proprement jouissif pour le public. L’investissement des danseuses et danseurs est tel que c’est comme si on vivait aussi cette expérience de danse extatique rien qu’en regardant le processus se dérouler. Cette illustration grandeur nature d’une entropie en croissance, c’est-à-dire l’augmentation du degré de désordre d’un système, s’avère électrisante, de par sa capacité à révéler l’impulsion vitale présente partout, en nous et autour de nous.

On s’attend à ce que quelque chose retombe ensuite… Pas du tout : la vitalité merveilleuse que nous transmettent ces jeunes artistes ne s’estompe absolument pas dans Join 2 de Mandafounis. Créée au Théâtre de la Ville l'automne dernier, l'œuvre est adaptée pour un effectif réduit – on se délectera d'autant plus de cette redécouverte.

Join 2 s’ouvre par quelques secondes où les élèves divisés en deux groupes s’amusent à imiter des chiens rivaux aux aboiements agressifs, tel un exercice prévu pour convoquer l’animalité au sein de chaque être. Le ballet incite ensuite le public à accueillir chaque scène l'une après l’autre sans attente particulière, soit se plonger dans un univers déstructuré où l’énergie devient palpable de différentes manières – via des solos ressemblant à des improvisations pleines de fougue, dans le jaillissement d’autres cris ou d’une lumière éblouissante, au travers des interactions intenses entre les corps. On comprend alors que ce spectacle plutôt difficile à transmettre requiert une distribution de danseuses et danseurs à la fois excellents techniquement mais surtout pleinement engagés dans l’interprétation. C’est ainsi grâce à l’ardeur flamboyante de chaque individu présent au plateau que l’œuvre se trouve transcendée, alors même que sa création en collaboration avec la Dresden Frankfurt Dance Company en novembre dernier n’avait pas été aussi convaincante.

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