En ce début de soirée dans le petit Théâtre du Jeu de Paume, trois artistes parmi les meilleurs défenseurs de l'œuvre chantée de Johannes Brahms nous convient à un récital à l’atmosphère chambriste, voire celle d’un salon de musique. Le programme alterne entre duos pour soprano et alto et séries de lieder interprétés par chacune des deux chanteuses, la mezzo-soprano Marina Viotti et la soprano Nikola Hillebrand. Il faut préciser que celle-ci, remplaçant Rachel Harnisch initialement annoncée mais malade, est arrivée pour participer seulement aux répétitions de la veille de la représentation.
On ne détecte en tout cas aucun problème de mise en place dans les trois premiers duos (opus 20), certains départs décalés permettant d’entendre la plénitude de chaque voix, du grave à l’aigu, ainsi que la richesse de l’alliage des deux instruments. Jouant un piano Érard de 1877, soit un instrument contemporain de Brahms, Jan Schultsz s’adresse au public en indiquant que son interprétation favorise une musique légère, une lecture agréable et pas sévère de Brahms, même lorsque les textes parlent de la mort.
C’est ensuite au tour de la Suissesse Marina Viotti de présenter rapidement, en français dans sa langue maternelle, les lieder qu’elle va interpréter. Ceux appartenant au registre de la douceur, parfois d’ailleurs teintée de mélancolie ou de menace de mort, sont superbement rendus par la rondeur du timbre qui enveloppe le texte. Quelques passages donnent l’occasion à la mezzo de puiser dans ses graves profonds (comme à la fin de Wie Melodien zieht es mir) des notes sereinement exprimées, dans une qualité de prononciation très claire. Elle interprète entre autres la majorité des Zigeunerlieder opus 103 (8 numéros sur les 11), d’une écriture qui paraît idéale pour sa tessiture et où l’interprète varie les nuances à loisir, entre puissance et retenue, d’un phrasé restant contrôlé sur le souffle.
La soprano allemande Nikola Hillebrand déploie quant à elle son instrument avec une vigueur accentuée par un vibrato à la fois présent et séduisant. Dans sa première série qui porte sur l’amour et la fidélité (Liebestreu, Treue Liebe), les montées d’intensité de Von ewiger Liebe contrastent fortement avec la berceuse qui suit (Wiegenlied), musique très connue des parents ayant eu à remonter des jouets musicaux pour bébé. La soprano amène sa fraîcheur à certains lieder joyeux (Ständchen) ou davantage de gravité à des passages plus émouvants (Es träumte mir, ich sei dir teuer).
Mais bien sûr, on se réjouit d’écouter les duos où les lignes musicales s’entremêlent de façon élégante et harmonieuse, ceci étant particulièrement vrai pour les deux derniers du programme, Die Boten der Liebe et Die Schwestern. Dans ce dernier, où les deux sœurs constatent finalement qu’elles en pincent pour le même garçon, la complicité entre les deux est palpable, tandis que le piano de Jan Schultsz sait se faire discret mais reste bien présent, en marquant très nettement une courte accélération intermédiaire.

Le trio accorde en bis Walpurgisnacht, le passage certainement le plus opératique du récital où la mère Marina Viotti rassure son enfant Nikola Hillebrand, en tentant de calmer sa peur des sorcières… alors que la maman elle-même est une sorcière ! Les aigus projettent à pleine voix et la mezzo termine le duo par un petit rire diabolique. Die Schwestern est repris en conclusion, sur un piano espiègle qui réunit deux véritables sœurs de chant.