Le récital parisien d'Igor Levit était attendu. Enfin, pas tant que cela, vu le peu de public réuni dans le Théâtre des Champs-Élysées – une demi-salle peut-être. Pourtant, le pianiste allemand d'origine russe y a déjà donné une interprétation passionnante du Premier Concerto pour piano de Brahms, avec l'Orchestre de Zurich et son chef Lionel Bringuier. Soixante ans à eux deux pour donner une leçon à quelques vieux de la vieille qui oublient trop souvent ce que cet opus 15 peut avoir de schumannien, juvénile, romantique, de classique et de révolutionnaire tout à la fois.
Igor Levit a pourtant déjà publié chez Sony des albums qui ont attiré l'attention sur lui dans le monde entier. Les partitas de Bach, les dernières sonates de Beethoven, un coffret réunissant les Variations Goldberg de Bach, les Diabelli de Beethoven et celles sur « El Pueblo unido jamás será vencido » de Frederic Rzewski avaient montré un pianiste dont l'envergure intellectuelle, l'art de la narration, la maîtrise pianistique s'imposaient d'autant plus fort que Levit semblait surgir de nulle part, entrant par la grande porte dans la vie musicale après n'avoir remporté qu'une médaille d'argent au concours Arthur-Rubinstein de Tel-Aviv, en 2005.
Le récital du pianiste est tout aussi déconcertant ce soir. À l'entracte, on se perd en conjectures comme à la sortie d’une projection de Mulholland Drive. Le film mystérieux de David Lynch perd son public dans un dédale d'éléments n'ayant pas de liens apparents, lui laissant le soin de rassembler les fils d'une énigme. Et malgré les images somptueuses, le spectateur peut rester à côté de l'œuvre. Il peut même perdre patience devant les complications inutiles, voire se prendre pour un idiot car il n'a rien compris au film, ce qui n'est pas agréable.
C'est précisément ce qui se passe à l'audition des Sonates opus 109 et opus 110 de Beethoven. Dans un premier temps, on se dit que l'entrée en matière de la première doit jaillir de façon plus improvisée, moins étudiée. Levit est un brin poseur dans la recherche d'un climat mystérieux, mais c'est somptueux de couleurs et de densité sonores. Puis le doute s'installe durablement avec ce premier mouvement qui avance par blocs plus travaillés les uns que les autres, avec cette manie d'être dans l'instant, d'insister sur tel ou tel détail, de faire du beau son, en oubliant la grande trajectoire qui doit nous conduire aux variations. Et l'on fait la moue devant ce qui paraît factice, fabriqué.