Quelle idée de venir présenter à Paris programme de telle envergure, dans une réalisation si défaillante sur le plan technique ! Et encore, si ce n’était que ça : Lars Vogt ne s’écoute pas, fait curée de la musique dans un patchwork formel ponctué d’affects. Une performance brouillonne, hagarde et décousue, qui remet en question le vedettariat mondial du pianiste.
Jouées sans pédale, les Variations Goldberg de Lars Vogt ont vocation d’épure. Comme tant d’autres avant lui, il voudrait en dégager le squelette formel. À tort ? Pas forcément, car l’impression chaotique que nous tirons de cette performance vient avant tout du fait que Lars Vogt se contente de construire un ordre apparent là où nous devrions sentir un ordre profond.
La sarabande d’ouverture (Aria), velléitaire, semble vouloir s’échapper à tout prix de la pulsation. Lars Vogt s’inspire des phrasés au clavecin pour arpéger et décaler dans le temps tout ce qui peut l’être. Mais à l’écoute, l’impression est celle d’une désynchronisation. Hiatus déroutant avec les variations, plus tendues. Le pianiste subordonne transparence et clarté à une recherche un peu éperdue de sophistication, saluant comme sacré tout ce qui n’a jamais été entendu. Chaque variation jouée « doit » trouver une nouvelle syntaxe et une nouvelle idée… logique de surface qui s’essouffle vite. Car se contenter de filer tout schuss les variations « méditatives » (variations 7, 13, et 15, 21, 25 en mineur) et d’écarteler dans le statisme le plus abstrait tout ce qui ressemble à une toccata (variations 12, 29) est un credo un tant soit peu rentre-dedans. Le pianiste cherche en vain dans le rubato de quoi tempérer ces nourritures abstraites ; mais le gonflement systématique de chaque entrée de voix se révèle très vite agaçant. En cherchant à les édulcorer pour l’auditeur, il contrarie certaines lignes au demeurant claires. Le contrepoint est parcouru d’une inutile houle (var. 15 et 21), ou au contraire neutralisé dans un note-à-note sans saveur (var. 25).
Inconstance du tempo là où l’arithmétique Gouldienne en avait fait une religion ; Lars Vogt presse sur les variations rapides jusqu’à ce que la technique s’essouffle : désynchronisation des voix, à-coups et doigts qui se dérobent – ça se gâte très vite ! La variation 23 est un moment particulièrement pénible pour l’auditeur. La main gauche de Vogt presse, se désynchronise, ce qui le conduit plusieurs fois à sauter directement aux mesures suivantes, au point où l’on se demande s’il l’a un jour enchaînée sans se reprendre. Saluons malgré tout dans le jeu de Lars Vogt la qualité de certains plans sonores, notamment une belle basse, mate et pizzée, à la main gauche.