Surtout connue du grand public pour ses chorégraphies pour Stromae ou Jean-Paul Gaultier, Marion Motin a présenté Le Grand Sot en 2021 à la Villette, avant une tournée qui s'est achevée sur la Scène Nationale des Gémeaux, à Sceaux.
Le Grand Sot nous immerge dans une compétition de natation, commentée avec acidité par un acteur en peignoir satiné rose, Alexis Sequera, qui a écrit le texte avec Marion Motin. C'est lui qui lance le spectacle, créant d'emblée une complicité avec le spectateur à qui il s'adresse parfois directement. Tantôt commentateur de la compétition, tantôt amical avec le public, il rythme le spectacle avec humour à la manière d'un Monsieur Loyal. Cette structure fonctionne très bien : alternance de séquences théâtrales parlées et de mouvements dansés, énergiques et structurés, accomplis avec brio par la compagnie Les Autres. Une danse généreuse, totale et exutoire dans laquelle on reconnaît les racines hip-hop de la chorégraphe, par les pas ancrés dans le sol et l'énergie brute des bras.
Utilisant plusieurs musiques emblématiques, Marion Motin commence par revisiter le Bolero de Ravel durant lequel les huit danseurs, en tenue sportive, bonnets de bain et chaussettes fluos, se tournent dos au public et agitent progressivement un à un leurs fesses en rythme avec application jusqu'à former un vrai corps de ballet. Petit à petit, suivant le crescendo, les mouvements s'amplifient et les danseurs, bras en l'air ou devant eux, intensifient la cadence... puis à la fin de la musique retirent rapidement leurs pantalons avec solennité face au public. Ce Bolero qui fait un clin d'œil décalé à la version de Maurice Béjart de 1961 résume parfaitement le talent de Marion Motin qui a l'art de manier les codes chorégraphiques et musicaux avec inventivité et humour. Le second degré est bien présent, que ce soit dans les pas (grands moulinets de bras pour évoquer la nage) ou dans les situations théâtrales qui ressemblent vraiment à des sketchs.
Le contexte de la compétition de natation est très bien trouvé pour créer des situations cocasses mais il est aussi prétexte à souligner des réalités bien connues du milieu de la danse : compétitivité, culture du corps parfait et du dépassement de soi reviennent sans cesse. « Regardez-moi ces épaules », « ce sont des virtuoses », s'exclame Alexis Sequera avant de démarrer la compétition. Par un procédé sonore amusant, on entend aussi les voix intérieures de chacun des athlètes plus ou moins déterminés, réfléchissant à une recette de cuisine ou au contraire s'encourageant en des termes choisis – « je vais tous les niquer ». On rit de cette caricature, exagérée pour faire sourire mais qui souligne judicieusement l'ambiance de certaines compagnies de danse ou de battles hip-hop.
La dramaturgie est excellente : au-delà des conflits de la compétition, la situation dégénère complètement jusqu'à créer du comique absurde. Trois danseuses balancent leur coéquipier dans la fosse avant de constater avec déception qu'il flotte. De retour en scène, le danseur en question se baptisera « Biscuit » avec le plus grand sérieux au micro d'Alexis Sequera, avant de remporter un très grand cactus à la suite d'un quizz sur les légumes. Il est rare que la danse contemporaine française laisse ainsi place à la parole et à l'humour. Mais c'est bien ce qui est jouissif dans ce spectacle : ce mélange de gestuelle énergique, de danse pure mêlée à des dialogues tordants !