Alors que les festivités de Noël touchent à leur fin, Monaco baigne dans une douceur hivernale caractéristique de son climat. C’est dans cette atmosphère, au cœur de l’Auditorium Rainier III, que s’est ouvert le premier récital de piano de l’année. Sur une scène épurée, où trône un imposant Steinway au centre, les pupitres, contrebasses et timbales abandonnés au fond du plateau donnent un air d’attente suspendue. Ce cadre sobre préfigure l’approche artistique du pianiste norvégien Leif Ove Andsnes.

La soirée s’ouvre sur la Sonate en mi mineur op. 7 d’Edvard Grieg. Dès les premières notes, Andsnes met en lumière la structure classique de cette pièce de jeunesse, tout en conservant une élégante retenue. Droite et concentrée, sa posture reflète la précision de son interprétation : tout semble mesuré, millimétré. Loin de rechercher la virtuosité gratuite, il préfère une sonorité raffinée, presque austère dans sa simplicité apparente. Une technique impeccable soutient ce discours sobre, où la musique prévaut sur le spectaculaire. Les thèmes folkloriques norvégiens qui percent dans l’œuvre sont interprétés avec clarté et sincérité.
La deuxième partie de la première mi-temps conduit le public vers une découverte : la « Sonata Etere » de Geirr Tveitt. Compositeur norvégien né et mort au XXe siècle, Tveitt s’est imposé comme un fervent défenseur du patrimoine musical de son pays, notamment en réinvestissant les motifs folkloriques de l’ouest de la Norvège dans des œuvres au langage harmonique riche et parfois évocateur. Sa Sonata Etere op. 129 reflète cette approche, mêlant élégance classique et modernité teintée d’éther.
Avant d’entamer l’œuvre, Andsnes prend brièvement la parole. Avec pédagogie, il explique l’importance des motifs folkloriques dans cette sonate, donnant ainsi des clefs d’écoute au public. Le pianiste explorera ensuite une palette sonore cristalline, soucieuse des résonances harmoniques. La subtilité de son jeu fait naître un caractère aérien, comme en apesanteur. Cette sobriété, parfois proche de la froideur, confère à l’interprétation une profondeur toute particulière. Tout en maintenant une clarté mélodique exemplaire, Andsnes fléchit avec aisance les passages les plus techniques, des traits virtuoses aux jeux de mains croisées. Une exécution solennelle qui, sous les doigts d’Andsnes, captive un public plongé dans une ambiance de délicatesse et de réflexion.
Après l’entracte, c’est un changement de ton notable qui marque le retour de l’artiste sur scène. Avec les 24 Préludes op. 28 de Frédéric Chopin, Andsnes quitte le classicisme précis et la sobriété nordique pour plonger dans une émotion romantique vibrante. Les préludes s’enchaînent avec fluidité, chaque transition marquée par le souffle d’une respiration. Si certaines pièces conservent la délicatesse alors explorée jusque-là, d’autres dévoilent une intensité dramatique inattendue, comme dans le Prélude n° 12 en sol dièse mineur. On lui découvre soudain une poigne affirmée, capable de traduire des éclats impressionnants sans perdre la subtilité qui le distingue.
Le sommet de l’interprétation réside dans l'aptitude d'Andsnes à capturer le caractère poignant des moments les plus engageants tout en maintenant une maîtrise solide et imperturbable. La dramaturgie de Chopin, renforcée par des effets de suspens savamment dosés, prend vie sous ses doigts. On quitte la salle avec l’impression d’avoir parcouru une évolution musicale à travers le répertoire : d’une retenue presque stoïque à une exaltation débordante.