Pour l'Orchestre National de Lyon, l'hiver naissant est l'occasion de célébrer le répertoire de la musique russe. Au cœur des festivités, cette intégrale Tchaïkovski, dont nous avons entendu la première et la quatrième symphonie. Comment un chef aux racines profondément américaines allait-il diriger un orchestre de tradition française dans ce programme fait de chants slaves et d'effusions si caractéristiques ? Tel était l'enjeu de ce choc des cultures, que la souplesse de Leonard Slatkin a su magnifier en une élégante synthèse.
D'abord, place à la jeunesse ; les "Rêves d'Hiver" de la première symphonie sont ceux d'un homme de 26 ans, déjà en marche. Les mouvements de double-croches des cordes se font ici mise en abyme : elles ont le ronronnement d'une mécanique qui se met en route. Elles seront plus tard énoncées avec bien plus de distinction (dans tous les sens du terme). Penser à une telle construction d'ensemble est une chose ; avoir le sens de l'écoute et du geste collectif pour la réaliser avec un tel degré de finition en est une autre.
Le 2eme mouvement évoque les landes glaciales, et a fait l'objet d'un choix esthétiquement radical, à l'opposé de tout lyrisme bienheureux. Le hautbois solo ne vibra pas une note, les cordes avaient la pâleur d'un murmure, la seule chaleur émana d'un basson au contrechant discrètement charnu. Encore une fois, le confiance que Slatkin accorde à ses musiciens est payante : car si les steppes demeurent sans vie, le paysage intérieur vibre quant à lui. Les plus chevronnés pourront tendre l'oreille pour espérer saisir les différents contrechants à peine esquissés, autant de pas perdus dans les landes gelées ; tous s'égarent dans le climat frissonnant qu'inspirent les principaux chants de la symphonie. Dans un tel brouillard, on s'étonne donc de la visibilité de certains changements de tempis ; ils auraient gagné à prendre la forme musicale d'un fondu enchaîné. L'ensemble demeure exceptionnel, et dire que l'on fut touché serait un euphémisme bien doux.
Après cela, les deux mouvements suivants paraissent un peu ternes, conséquence de la retenue de Slatkin et d'un tempo relativement lent dans le scherzo. Il en découle quelques problèmes de coordination dans le passage des motifs entre les pupitres de cordes. Sans doute était-ce le revers de la médaille de cet art de l'épure dont Slatkin a le secret et qui exige un public d'une attention irréprochable, ce qui fut loin d'être le cas ce soir-là.