En résidence cette saison au Théâtre des Champs-Élysées pour quatre concerts symphoniques, Les Siècles et François-Xavier Roth proposaient ce dimanche 6 novembre un triptyque viennois, joué comme à l’accoutumée sur instruments d’époque. Après une première partie consacrée à la Seconde école de Vienne (Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg et Sept Lieder de jeunesse d’Alban Berg), la boucle se bouclait avec la Première Symphonie de Gustav Mahler, préfiguration du chemin qu’emprunteront ensuite les deux « berg ». Cet éloge de la modernité viennoise constituait également un éloge de la verdeur puisque ce programme mettait à l’honneur les œuvres « de jeunesse » de ces compositeurs.

Les Siècles et François-Xavier Roth au Théâtre des Champs-Élysées © Mathias Benguigui
Les Siècles et François-Xavier Roth au Théâtre des Champs-Élysées
© Mathias Benguigui

Écrite à l’origine pour sextuor à cordes, La Nuit transfigurée est l’œuvre d’un Schönberg encore dans sa vingtaine mais qui remettra plusieurs fois la partition sur son métier : d’abord arrangé pour orchestre à cordes en 1917, puis révisé en 1943, cet opus 4 semble à la fois restituer l’héritage des grands du XIXe siècle et tourner la page d’un usage académique de la tonalité. Entre romantisme et modernité, entre maîtrise et incertitude, ce chef-d’œuvre précoce témoigne des recherches encore hésitantes du compositeur ; c’est peut-être ce paradoxe que cherche à souligner François-Xavier Roth dans son interprétation pleine de tendresse et de fragilité, dont les vers de Richard Dehmel – sur lesquels se fonde le poème symphonique – se font l’écho. Dans le plus pur respect de la partition, la direction suit chacune des indications, de l’étagement des plans sonores aux indications de tempo, en passant par les phrasés : autant de prescriptions à même d’installer ces climats changeants et de procurer une lisibilité narrative dans cet entrelacs de motifs harmoniques et mélodiques. Cependant, l’interprétation pâtit de quelques raideurs qui peinent à lui procurer son souffle, malgré l’engagement des instrumentistes et l’énergie de la direction qui semble inoculer la musique à l’orchestre.

C’est alors qu’il est encore élève de Schönberg qu’Alban Berg compose quelques quatre-vingts lieder, parmi lesquels il réunit, dans un même recueil, Sept Lieder de jeunesse. Ainsi que le mentionne ce titre, ces mélodies sont celles d’un compositeur en devenir (d’ailleurs, son catalogue n’est alors pas officiellement inauguré). En revanche, leur orchestration en 1928 porte l’empreinte d’un compositeur au faîte de sa maturité. Les musiciens des Siècles, parfaitement à leur aise dans cette modernité, délivrent un tissu orchestral élégant qui n’éclipse aucun de ses chatoiements. Savamment dosée par le chef, l’épaisseur sonore laisse libre cours aux audaces de Patricia Petibon : la soprano délivre une performance habitée et expressive, mais dont les postures maniérées semblent superflues. Vocalement plus équilibrée, la chanteuse fait entendre un timbre étoffé et charnu – sans excès de puissance – duquel une teinte sombre fait jaillir l’intensité dramatique. Malgré des nuances piano incertaines et une diction appuyée, la voix est agile dans toute sa tessiture, procurant un vif sentiment de naturel et de légèreté.

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Patricia Petibon
© Bernard Martinez

Ce sentiment d’aisance aura malheureusement manqué à la Première Symphonie de Gustav Mahler dans laquelle la précision analytique d’épisodes successifs est préférée à la cohérence globale, à l’idée de développement. L’unité fait défaut dans un premier mouvement corseté qui n’apparaît pas comme l’éveil embrasé de la nature, ainsi que dans le dernier mouvement où l’on peine à sentir l’odeur de l’orage entre les coups de tonnerre, les accalmies orchestrales entraînant le délitement d’une tension pourtant exacerbée. Malgré des vents approximatifs, le deuxième mouvement est néanmoins exécuté avec l’animation et la vigueur recommandées par la partition pour ces danses paysannes, alors que la marche funèbre du troisième mouvement laisse entrevoir d’ironiques réminiscences bohémiennes. Soulignons également le travail réalisé sur le timbre des instruments qui, par l’ancienneté de leurs factures allemandes et autrichiennes, semblent redessiner les équilibres orchestraux de cette symphonie : les cuivres paraissent bien feutrés en comparaison de nos standards de brillance actuels, les bois plus sombres et moins vifs, tandis que les cordes en boyau développent des harmoniques doux et inattendus, donnant une transparence singulière à l'ensemble du programme interprété.

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