Pour les clarinettistes, le concerto de Mozart constitue sans hésitation le classique des classiques. D’où la difficulté pour ses interprètes d'y glisser un vent de fraîcheur. Difficulté dont Martin Fröst fait fi : car il est de ces musiciens qui ne se sentent à l’aise que dans un univers sonore minutieusement construit et extrêmement personnel.
Bien campé sur ses pieds, poses de jazzman, démarche souple et féline ; le cliché n’est pas loin, mais on sent bien que pour Martin Fröst, la gestuelle n’a rien de gratuit et lui permet de trouver une assise corporelle. Sécurisante pour lui, elle ne l’est pas moins pour l’auditeur ; d’emblée, on devine qu’aucune défaillance technique n’est ici possible, et on apprécie d’autant mieux les fragilités que Martin Fröst dissémine dans son discours, comme ces mouvements de double-croches, jamais tout à fait égales, mais sans jamais trébucher pour autant, comme le ferait le pianiste Friedrich Gulda dans le même répertoire. La logique est implacable, car les irrégularités empêchent à l’attention de jamais décrocher. L’orchestre, lui, révèle quelques imperfections (notamment dans la coordination des tuilages, passages de la mélodie entre le soliste et l’orchestre), mais on apprécie la belle rondeur des cordes graves, notamment ces soyeux aplats de contrebasses. Andris Poga fait le choix de diriger le concerto sans baguette, en acceptant les avantages comme les inconvénients de ce parti-pris ; difficile, en effet, de conjuguer la belle tenue de sa direction et la précision qu’aurait permise un jeu plus actif, baguette à la main.
Autres mouvements, autres surprises. Dans l’Adagio, Martin Fröst éblouit par sa présence jusque dans les nuances les plus ténues ; impossible en effet pour la clarinette de détimbrer, et l’interprète fait de cette apparente contrainte un formidable outil d’expression. Ainsi, qu’il soit suave, velouté, lyrique, ou plus pincé dans le troisième mouvement, il y a toujours de la matière dans le son ; et toujours matière à se réjouir. Tout aussi à l’aise dans ce répertoire, le soliste entraîne l’orchestre dans un bis klezmer, où l’on peut deviner ses talents d’improvisateur. Et la boucle est bouclée ; car Martin Fröst a beau ne rien changer à sa gestuelle ni à sa démarche, le tout reste parfaitement naturel et fluide.
Grandiose miniature d’Alexandre Mossolov ! En guise de prélude à la seconde partie du concert, une féroce estampe musicale de trois minutes pour grand orchestre. L’ensemble est rutilant, hargneux, saccadé ; le son semble produit de façon presque industrielle, répétitive, surgissant comme un flot de vapeur des cheminées des cuivres. La vive impression que nous fit cette œuvre tient sans doute au fait que le compositeur soit parvenu à conjuguer instrumentation monumentale et durée minimale.