Alors que l’édition 2021 du Festival d’Aix-en-Provence touche à sa fin, un orchestre pas comme les autres investit la scène du Grand Théâtre de Provence : l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (OJM). Sur le modèle de l’Orchestre Français des Jeunes, il réunit une quarantaine de musiciens en provenance des pays du bassin méditerranéen, de la Turquie à l’Espagne en passant par la Grèce ou la Tunisie, coachés par des membres du London Symphony Orchestra. Covid-19 oblige, l’orchestre présente un effectif moins étoffé que les années précédentes mais dans un programme multiculturel aussi alléchant qu’intrigant, à l’image de cet orchestre atypique dont l’excellence artistique n’est plus à démontrer.

L’OJM et son directeur musical, le fringant Duncan Ward, ouvrent ainsi le concert par le bref Tuxedo Vasco 'de' Gama de la jeune compositrice britannique Hannah Kendall. Quoi de mieux que la référence au célèbre navigateur portugais pour débuter un concert placé sous le signe du dialogue entre les cultures ? L’œuvre laisse la possibilité pour les musiciens, en l’espace de cinq minutes, de donner un brillant aperçu de leurs qualités : cohésion et homogénéité dans les cordes, menées par une excellente première violon solo bien engagée physiquement, souplesse et réactivité d’un orchestre de chambre, et un niveau technique solide à l’image des deux percussionnistes qui ont ici fort à faire. Les dissonances sont fermement assumées, les tensions mélodiques et harmoniques poussées à bout, et tout ceci présage le meilleur pour le reste.

La suite tiendra en effet ses promesses, en fin de concert notamment, quand les jeunes musiciens reviendront à une compositrice, Louis Farrenc (1804-1875), et sa Symphonie nº 3, œuvre de plus en plus à l’affiche dans les orchestres français et européens. Ward cherche dès les premières mesures à donner vie à cette partition. Après le bref Adagio introductif, le chef lance l’Allegro en insistant d’abord sur les contretemps et les forte-piano puis en demandant toujours plus de legato et de tuilage entre les cordes et les vents. L’orchestre répond sans problème aux souhaits du maestro et livre ainsi un premier mouvement tout en élégance et en vigueur rythmique. On retrouvera cette mécanique dans les trois autres mouvements où les musiciens méditerranéens, entre le soin permanent porté aux lignes de chant et les coups de théâtre du finale, défendront cette musique avec la même grâce et le même engagement que dans le fameux Tombeau de Couperin de Ravel un peu plus tôt.

Car outre les raretés figurait bien un classique – en l’occurrence une des œuvres les plus jouées pendant la pandémie selon nous ! Preuve de l’état d’esprit général de l’orchestre, les musiciens de l'harmonie opèrent un turnover pour cette partition à double tranchant pour les instrumentistes, entre mise en avant et difficulté technique. Là encore aucune faille de ce côté-là, il convient même de souligner la belle performance du jeune hautboïste portugais Pedro Pais Capelao tout en délicatesse, à l’image de l’interprétation générale. Sans exubérance ni démonstration de force ostentatoire, Ward et ses musiciens privilégient avant tout le phrasé, les nuances et l’équilibre général. Certaines voix secondaires sont particulièrement audibles (altos, cor anglais) et le chef use du rubato avec beaucoup de finesse pour faire entendre un Tombeau souple et tout en dentelle.

Cela aurait suffi au succès de la soirée. C’était sans compter l’extraordinaire performance de la mezzo Anna Stéphany qui vient compléter un tableau particulièrement réussi, dans une œuvre trop peu jouée et qui est un beau clin d’œil au multiculturalisme de l’orchestre : les Folk Songs de Berio, « une balade pleine de couleurs à travers la musique folklorique du monde entier » selon les mots du directeur musical. Stéphany est parfaite de bout en bout : variété des timbres en fonction des langues et des atmosphères (tantôt rauque dans le chant sicilien, tantôt suave et léger dans le traditionnel auvergnat), dialogue complice avec l’orchestre, diction et articulation impeccables dans les huit langues différentes. Le dernier chant azerbaïdjanais en forme de farandole emporte le public aixois qui ne manque pas de saluer ce projet musical et humain hautement estimable.

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