Singulier duel que celui proposé par l’Orchestre National de Lyon : Pierre-Laurent Aimard rencontrait le violoniste baroque et chef Riccardo Minasi dans un programme articulant autour du Quatrième Concerto de Beethoven la première et la dernière des symphonies de Haydn. Orchestre réduit, instruments modernes ; direction ample et généreuse, soliste d’une concision discrète : le mariage ne se fit pas sans incohérences, peut-être responsables des élans d’abord bien timides de l’ONL. Mais peu à peu, on s’accomode de ce surprenant cocktail qui trouve en ses contrastes bien des recettes pour retenir notre attention ; et l’époustouflante deuxième partie de nous convaincre des vertus de ce surprenant mariage.
Dans la première symphonie, l’ONL essuie les plâtres. L’acoustique de la salle sied bien mal à un effectif réduit. On est presque surpris de la timidité des caractères, tant la gestuelle de Riccardo Minasi sait solliciter les musiciens ; mais passés les premiers pupitres, ils manquent de répondant. En résulte un manque de cohésion, donc de cohérence, dans les dynamiques (les accents du premier mouvement ne sont pas réalisés de manière homogène au sein d’un même pupitre de cordes). Le chef exige beaucoup ; mais ce que l’on entend a un arrière-goût de demi-mesure ; dans cette musique qui palpite par ses contrastes, le caractère ne change pas assez. Mais l’effectif réduit permet aussi de mettre en lumière des personnalités remarquables par leur engagement (la hautboïste Clarisse Moreau), et ménage également de remarquables unissons de cordes, notamment dans le deuxième mouvement, et surtout dans le final, où les contrastes de nuances trouvent finalement cette force abrupte si bienvenue dans ce répertoire. Il fallait au moins cela pour servir le discours rhétorique de Riccardo Minasi, dont la versatilité nous charme : l’ensemble est dans le style, et l’on sent avec plaisir l’intelligence d’un homme comprenant qu’une musique, avant de “sonner baroque”, aurait intérêt à sonner juste.
Dans le Quatrième Concerto pour piano, on trouvera la beauté dans les discours individuels plutôt que dans la démarche collective. Le manque de communication entre Pierre-Laurent Aimard et le chef n’est pas sans conséquences ; le pianiste, distillant son intelligence et sa fantaisie dans les phrases de Beethoven, sait leur donner naturel et fraîcheur ; elles n’en demeurent pas moins imprévisibles pour les autres musiciens, mettant en péril la cohésion de certains tuilages. On sent bien que Pierre-Laurent Aimard n’est pas de ceux qui arrivent sur scène avec une interprétation calibrée dans les moindres détails ; pour lui, tout phrasé peut être bon s’il donne à réfléchir. On admire également sa maîtrise des plans sonore, même si, grand architecte, le pianiste n’est pas moins acteur du discours qu’il déclame ; ainsi cette façon d’incarner, dans le développement du premier mouvement, ce motif qui fait tant songer au bel canto, avec une autorité qui n’a de cesse de nous convaincre. Dans le mouvement lent, Pierre-Laurent Aimard, Orphée jamais mélodramatique, reçoit des Enfers une réponse pleine de noirceur, mais sans brutalité ; une nouvelle fois, les artistes ont pris le parti-pris du beau. Les deux musiciens sont plus à leur aise en s’opposant dans ce jeu de questions-réponses, que dans le dialogue concertant du premier mouvement. C’est également le cas dans le Final, où les plus beaux instants sont ceux où le pianiste développe seul le discours (porté par une unique pédale de violoncelle, un motif champêtre trouve une cohérence inattendue, entre bonhomie gaillarde et délicatesse insouciante). L’orchestre, lui, retrouve la franchise sans concession qui fait sa force : quel plaisir de voir les altos sortir le grand jeu pour prendre la parole, l’une des rares fois où elle leur est pleinement donnée !