Les premières notes du Trio avec piano de Maurice Ravel flottent délicatement dans l’église de Saanen. À l’extérieur, les flocons tombent sans discontinuer depuis des heures. Aux Sommets musicaux de Gstaad, décor et musique ne font qu’un, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Assemblés derrière les fonts baptismaux, les frères Capuçon et Jean-Yves Thibaudet projettent les harmonies éthérées du premier mouvement vers la mezzanine boisée de l’église. Le toucher délicat du pianiste, les aigus scintillants de Renaud et l’archet fluide de Gautier se marient sans effort apparent.
Un peu plus tôt, le son de l’ensemble n’avait pourtant rien à voir : dans le Trio avec piano n° 2 de Mendelssohn, Thibaudet plonge dans le clavier sans retenue, Renaud Capuçon entretient un vibrato ample et le violoncelle de Gautier adopte un timbre intense, presque granuleux. On a connu interprétation plus classique, plus ciselée, plus aérienne ; ici le parti pris est tout autre. Au-dessus d’un clavier très sûr, les deux frères déploient un lyrisme exacerbé, tendu par un legato continu. En retrait dans le chœur, le son parfois excessivement fondu du piano renforce la solidité de la ligne, jusque dans un « Andante espressivo » très orchestral, plus dense que dansant. Voilà qui rapproche Mendelssohn de Brahms ou Bruckner ; et ce n’est pas pour nous déplaire.
Le trio compense sans difficulté les quelques limites acoustiques du lieu : toujours exacts rythmiquement, indiscutables dans l’intonation, homogènes dans le phrasé, les musiciens se passent le relais sans détour, sans maniérisme. Si Renaud reste concentré sur son instrument, Thibaudet n’hésite pas à tourner la tête à 90 degrés pour le suivre, souriant à l’écoute d’une transition expressive du violoniste. Gautier quant à lui passe de l’un à l’autre, assurant le liant entre son frère et son partenaire privilégié – avec la violoniste Lisa Batiashvili, Thibaudet et lui viennent de faire une tournée saluée par la critique.