Le rideau s’ouvre sur la scène de l’Opéra Garnier, dévoilant une maison des plus banales, à l’intérieur vieillot. Seul détail singulier – et non des moindres : les murs sont invisibles. Baignoire, lit, canapé, cuisinière viennent caractériser chacune des quatre pièces qui sont simplement délimitées par des portes debout dans le vide. Il fallait y penser ! Dans les décors minimalistes de Paolo Fantin, le dramma buffo domestique conserve son cadre et Don Pasquale gagne en efficacité et en inventivité.
Décloisonner l’opéra de Donizetti permet paradoxalement à Damiano Michieletto d’en accroître le réalisme, sans perdre en expressivité vocale : le metteur en scène fait jaillir les airs, apartés et commentaires depuis plusieurs pièces différentes, conformément à l’éclatement du discours musical, sans souffrir d’un quelconque obstacle acoustique. Pasquale se rit de son neveu depuis sa baignoire, au moment où le pauvre Ernesto se lamente dans la chambre à coucher. Aucun temps mort n’est possible : le plan en coupe offre au regard tous les petits détails amusants de la vie du foyer sans perdre une miette du beau chant. Ce terrain de jeu sans frontières devient même le lieu d’une virtuosité scénographique rarement atteinte : sitôt installée chez le vieux Don, la belle Norina s’empresse de moderniser l’intérieur ; un chœur de déménageurs s’emploie au renouvellement de tous les meubles en un temps record, depuis l’horloge du salon jusqu’à la voiture garée à l’extérieur. Devant une telle créativité dans le chambardement, on ne peut que répéter le constat du personnage éponyme : « Quelle maison de fous ! »
Le plateau tournant et la vidéo ajoutent à l’efficacité dramatique sans tomber dans une gadgétisation de la mise en scène. Le premier participe du rythme effréné de l’ouvrage, présentant la maison sous tous les angles, faisant véritablement basculer le livret aux moments-clés. Quant à la caméra (présente sur scène), elle souligne efficacement le jeu cruel du tandem Malatesta-Norina, réalisateur et actrice du piège destiné à calmer les ardeurs libidineuses de Pasquale. En appuyant – parfois un peu trop grassement – le caractère manipulateur des deux conspirateurs, Michieletto donne toute son humanité au rôle-titre. Celui-ci est rendu extrêmement touchant après le fameux épisode de la gifle, suivi d’une vision : Don Pasquale observe une version enfantine de lui-même, dans toute sa vulnérabilité, obtenir la consolation maternelle à laquelle il n’a plus droit. Dans les derniers instants, on pourra trouver que le metteur en scène pousse trop loin le bouchon de la méchanceté et du dramma – Pasquale semble parti pour l’EHPAD et Norina laisse Ernesto à la porte – mais l’ensemble est des plus cohérents, porté par les innombrables trouvailles de Michieletto.