Majoritairement orchestré autour du jazz, de ses influences, de ses élans généreux et créateurs, ce concert s’annonce comme un moment rare, comme seul le « live » peut procurer, avec comme point d’orgue la création du premier « concerto jazz » de Thomas Enhco après le détour ravélien du Concerto en Sol Majeur.
Prélude à un concert profond, inspiré, mais également rafraîchissant par son fourmillement d’associations aussi nouvelles qu’inattendues, la version orchestrale de la Pavane à une infante défunte de Ravel ouvre la soirée sous la direction du jeune chef Julien Masmondet, direction non sur la réserve mais tout en retenue. Prise à un tempo plus lent que d’ordinaire, la Pavane se fait danse noble, emplie d’une nostalgie rimbaldienne, mimant la marche inexorable d’un cortège funèbre.
Le Concerto en Sol Majeur de Ravel. Le duo Enhco/Masmondet opte une nouvelle fois pour une approche pudique, sans aucun étalage de virtuosité, ni artifice. Leur vision fait des merveilles dans l’Allegramente qui prend une couleur toute Gershwinienne, avec la mise en exergue de syncopes et montées d’accord aux rythmes binaires. L’adagio assai se pare d’une atmosphère lumineuse, éthérée et romantique proche d’une gnossienne de Satie sous les doigts de Thomas Enhco, comme une grande phrase lyrique déployée mais qui s’essoufflera cependant dans sa seconde phase, sur l’alternance mi-fa-mi-do, jouée de manière peut-être trop détachée, directe et linéaire. Enfin, le Presto, déjà décousu par sa structure, déçoit par un manque d’unité, de direction et paraît malheureusement fragmenté.
Non, c'est avant tout le premier concerto pour piano et orchestre de Thomas Enhco, créé ce soir même, qui surprend, captive et hypnotise ses auditeurs qui ne peuvent rester indifférents à cette œuvre à thème, profondément cinématique sur fond d’une subtile alchimie entre classique, jazz et musique contemporaine.
Comme le cycle d’une vie, le concerto nous mène à travers différents états d’âme d’un voyage initiatique opposant toujours deux thèmes qui se jaugent, s’affrontent et se complètent enfin dans une réexposition sous forme de cadence improvisée comme un dialogue avec l’orchestre.
Tout d’abord l’aventure, avec un thème empruntant à la bossa nova et annonçant l’imminence, celle du départ, puis un thème à trois temps malicieux, initié par les vents, à la manière d’un jazz-band dirigé par Gershwin sur fond de textures orchestrales ravéliennes. Le deuxième mouvement symbolise l’amour et le doute, à travers un chant langoureux, et tendre typique du jazz latin, que n’aurait pas renié Radamés Gnattali, mené de main de maître au piano, et instaurant quiétude et apaisement proches de Debussy. Il laisse place ensuite à un doute existentiel, celui d’un futur insondable mais qui malgré-soi s’ouvre devant nous, et dont la frénésie rappelle le Köln Concert de Keith Jarrett.