Donner trois fois de suite le Requiem de Fauré en la sublime basilique Saint-Sernin de Toulouse, c'est célébrer avec éclat le centenaire de la disparition de l'enfant du pays, Gabriel Fauré étant natif de Pamiers (Ariège) et issu d'une famille toulousaine. Et pour donner encore plus de relief à cet anniversaire, l'Orchestre National du Capitole de Toulouse et le chef d'orchestre Kazuki Yamada ont imaginé un projet franco-japonais avec la venue du Chœur Philharmonique de Tokyo et la création mondiale d'une œuvre de Thierry Escaich en hommage à Fauré, le tout avec une captation pour Mezzo et NHK, la télévision publique japonaise. 

Kazuki Yamada dirige le <i>Requiem</i> de Fauré dans la basilique Saint-Sernin &copy; Romain Alcaraz
Kazuki Yamada dirige le Requiem de Fauré dans la basilique Saint-Sernin
© Romain Alcaraz

Si le cadre et l'acoustique de la basilique romane se révèlent idéaux, en revanche son somptueux grand orgue Cavaillé-Coll aura donné des sueurs froides aux organisateurs : le mois de septembre frais et pluvieux a fait chuté le diapason de l'instrument, avant qu'il ne remonte miraculeusement début octobre à 440 Hertz, condition incontournable pour être en accord avec l'orchestre, ouf !

En ouverture, la Petite Suite de Claude Debussy. Cette œuvre de jeunesse pleine de charme et d'une douce poésie s'inspire des Fêtes galantes de Verlaine et nous plonge dans l'atmosphère insouciante des peintures de Watteau. L'orchestre la joue avec beaucoup d'aisance, la flûte de Sandrine Tilly et la harpe de Gaëlle Thouvenin faisant merveille ici. L'interprétation reste toutefois un peu sage ; gageons que le « Ballet » conclusif de cette Petite Suite sera plus débridé lors des deux concerts suivants...

Commande de l'Orchestre du Capitole et de l'Orchestre de Paris à l'Ariégeois Thierry Escaich, Towards the light (Vers la lumière) est une œuvre plutôt brève (environ 12 minutes), conçue comme un écho au Requiem de Fauré. Elle propose un cheminement vers une vision d'éternité lumineuse, d'où la présence du thème grégorien Lux æterna qui structure l'ensemble de la pièce. Les textes chantés sont extraits de la Bible, du Livre de la voie et de la vertu de Lao-Tseu et de poésies de François Cheng. Le premier volet, mystérieux et superposant différentes textures sonores, dépeint la lumière luisant dans les ténèbres. Puis vient un passage luxuriant en forme d'appel à la lumière, culminant dans un climax irradiant et virtuose. Dans une atmosphère apaisée et éthérée, la pièce se conclut par un solo de flûte que rejoint la harpe, l'orgue, puis progressivement tout l'orchestre tandis que le chœur énonce un cantique américain reprenant d'anciennes prières amérindiennes... Quelques discrètes références au Requiem de Fauré émaillent les dernières mesures de cette œuvre particulièrement inspirée et émouvante.

Nous voici donc pleinement préparés à goûter une très belle interprétation du chef-d'œuvre de Fauré où vont s'illustrer les 40 chanteurs du Chœur Philharmonique de Tokyo. Cette formation est le premier chœur professionnel créé au Japon (en 1953) et passe pour être le meilleur de l'archipel. Ce concert en fait le démonstration : justesse impeccable, grande homogénéité des pupitres, perfection des attaques, longueur de souffle et souplesse, quasi absence de vibrato (adéquate pour ce type de musique)... Tout y est, sauf en matière de prononciation et d'intelligibilité des paroles, notamment du français lors du Cantique de Jean Racine de Fauré donné en bis.

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Florian Sempey, Kazuki Yamada et le Chœur Philharmonique de Tokyo
© Romain Alcaraz

Fin connaisseur de la musique française, le chef japonais Kazuki Yamada livre une interprétation retenue, sobre, pleine de douceur et de ferveur contenue. Les couleurs de l'Orchestre du Capitole font merveille dans ce répertoire français dans lequel il excelle depuis toujours. Les nombreux passages impliquant les cordes graves de l'orchestre sont interprétés ici avec un étonnant velouté et une belle plénitude de timbre, les bois et les cuivres sont parfaits. Du côté des solistes, le « Libera me » de Florian Sempey est impeccable de style et de retenue. En revanche le « Pie Jesu » chanté du haut de la tribune d'orgue par la soprano japonaise Maki Mori déçoit quelque peu, compte tenu d'un vibrato trop large. Quant au sublime « In Paradisum » conclusif, il nous comble par sa délicatesse, sa douceur et son émotion, à tel point que le public mettra une bonne trentaine de secondes avant d'applaudir et de saluer une interprétation fidèle à ce qu'a déclaré Fauré : la mort envisagée non pas comme un passage douloureux mais comme « une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur de l'au-delà ».

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