Mardi dernier à la Halle aux grains, Les Grands Interprètes ont démarré la saison lyrique avec force en mettant à l’affiche la collaboration régulière entre L’Arpeggiata mené par Christina Pluhar et le contre-ténor Philippe Jaroussky, le dernier concert de cette association sur les planches toulousaines remontant à une quinzaine d’années. L’ensemble proposait un programme cohérent réunissant plusieurs « fragments d’un discours musical amoureux » produits par différents compositeurs de l’époque baroque, notamment français.

Cette soirée, d’un seul tenant sans entracte, montre un ensemble bien réglé et une aisance dans l’échange avec le contre-ténor après de nombreuses années de collaboration. L’exploration des affects par Jaroussky est permise par une voix toujours très cristalline, de belles tenues peu ornées. Les cadences et nuances sont particulièrement bien soignées dès les premiers airs, Nos esprits libres et contents et El baxel està en la playa. Les moments suspensifs (Ma bergère est tendre et fidèle, Enfin la beauté ou encore Oblivion soave) alternent avec des airs plus dansés dynamiques, comme par exemple Orilla del claro Tajo où le public est invité à participer sur la fin de phrase.
Seule ombre au tableau, l’intelligibilité et la diction sont sacrifiées au profit de l’expressivité. Ainsi, le français, comme l’anglais et l’italien, peine à être compréhensible sauf dans les passages plus proches du récitatif et lorsque le rythme naturel de la prosodie n’est pas déformé (Concert des différents oiseaux). Ponctuellement, l’orchestre livre quelques numéros purement instrumentaux qui ne sont pas des plus équilibrés : le violon baroque et le cornet à bouquin sont couverts par le continuo sur les nuances piano, alors qu’ils s’imposent parfaitement dans d’autres circonstances. Les improvisations laissent en revanche transparaitre la maîtrise individuelle de chacun des instrumentistes, plus particulièrement Dani Espasa au clavecin, David Mayoral aux percussions et Maximilian Ehrhardt à la harpe baroque.
Les « tubes » monteverdiens Si dolce è’l tormento et Ohimè, ch’io cado qu’on a l’habitude d’avoir dans l’oreille par ces interprètes montrent quelques évolutions de la voix. Les notes hautes sont plus préparées et moins délicates qu'auparavant, et l’accent est davantage porté sur le jeu scénique : l'apparition d'un éventail maniéré vient ponctuer Yo soy la locura, la rivalité entre la voix et le cornet dans les pièces italiennes donne lieu à une vraie mise en scène, Jaroussky faignant d’être choqué des accents jazzy pris par l’instrument... qui cite en passant un motif de Mission Impossible. Si le contre-ténor n’en est pas à son premier coup d’essai dans de tels effets, ils sont ici renforcés, pour le plus grand plaisir du public.
Jaroussky surenchérit dans la perspective comique avec un premier bis reprenant le boléro fort célèbre Besame mucho, durant lequel il est rejoint en duo vocal par Lixiana Fernandez, faisant mine de séduire Christina Pluhar, puis la violiste, puis le cornettiste. Il poursuit ensuite l’ouverture vers la contemporanéité, annonçant, sourire en coin, la découverte d’un nouvel air français baroque inédit après des années de recherche conduites par Christina Pluhar, ce avant entamer Déshabillez-moi de Juliette Gréco (1967). Dans un dernier élan comique, et cette fois dans un français très clair, Jaroussky tombe veste, cravate et quelques boutons de chemise. À quand Bella Ciao en version baroque ?