Si la mort de Nelson Freire et de Radu Lupu a ému les mélomanes et les musiciens, leur âge a fait accepter leur disparition. Nicholas Angelich et Lars Vogt sont partis à 50 ans à peine passés. Ce n'est pas un âge pour mourir. Tout ce qu'ils avaient encore à vivre avec leur famille, leurs amis, tout ce qu'ils avaient encore à apporter au monde...
L'Orchestre de chambre de Paris célèbre ce soir un être de lumière, une boule d'énergie chaleureuse, un musicien dont la dévotion et le jusqu'au-boutisme des convictions musicales le portaient sur des sommets d'intensité brûlante. Jamais ce n'était pour Lars Vogt une façon de se représenter lui-même. Toujours, c'était l'occasion de faire le silence pour que la musique naisse au monde et l'élève avec le public réuni autour de lui vers la beauté et la fraternité. Jamais je n'oublierai un Concerto n° 4 de Beethoven donné au Festival de La Roque d'Anthéron, jamais – et on peut le dire pour eux car ils ont aussi été marqués à jamais par ce qui s'est passé se soir-là – les pianistes Claire Désert et Christian Ivaldi ne l'oublieront, ainsi que le public et les musiciens de l'orchestre. Moment de grâce où se fondent en une mystérieuse combinaison la joie de jouer, de faire de la musique au sens le plus pratique qui soit, avec ses mains, son corps, et d'un coup la plongée dans les ténèbres de l'âme humaine, de la souffrance, des forces qui abandonnent le combat dans un mouvement lent qui est le combat de la vie que la mort écrase sous les coups. Lars Vogt était le Concerto en sol majeur de Beethoven.
Ce soir, son orchestre lui rend hommage. « Son » n'est pas le bon mot car, s'il était leur patron, Vogt se sentait surtout parmi eux, avec eux, ni contre eux ni au-dessus d'eux. Il était un homme chaleureux, droit et franc qui avait tenu sur Twitter à parler de son cancer avec des mots directs qui donnaient du courage à ceux qui le suivaient et échangeaient avec lui sur ce sujet ou sur la guerre en Ukraine car il était un citoyen engagé. Les musiciens ont choisi Daniel Harding pour les diriger et quelques solistes, tous amis de leur directeur musical. Et quels chef et solistes ! Christian Tetzlaff au violon, Paul Lewis au piano, Alban Gerhardt au violoncelle, le ténor Ian Bostridge dans un programme qui pouvait faire craindre une déprimante veillée funèbre, mais s'est transformé en une soirée dont l'élégance et la grâce touchèrent le public venu nombreux sans pour autant – hélas ! – emplir la Philharmonie dans laquelle on comptait des places vides au paradis. Mais les saluts à la fin ont montré le talent de ce public qui a fait une ovation debout aux musiciens.