Plan séquence d’une cinquantaine de minutes, cet Actéon filmé le 6 décembre au Théâtre du Châtelet est l’aboutissement scénique d’un projet longuement mûri, présenté à Ambronay en octobre. Le drame de Charpentier inspiré des Métamorphoses d’Ovide conte la mésaventure fatale du jeune chasseur Actéon surprenant Diane et ses huit nymphes se baignant dans la fontaine de Gargaphie. La déesse outragée le change illico en cerf et le pauvre admirateur périt sous les crocs de ses propres chiens, image frappante dont Purcell se souviendra cinq ans plus tard dans son Didon et Enée, ouvrage à la structure curieusement voisine.
L’action très ramassée se déroule en temps réel, hommage du chasseur à sa déesse, présentation des compagnons et des nymphes, jeux et ris de circonstance, blasphème et mort du héros. Dans la mise en scène de Benjamin Lazar, un grand paravent mobile montrant un « Cheval attaqué par un jaguar » du douanier Rousseau évoque la dualité du désir et de la cruauté, les aquariums transpercés par les rais du soleil, le feu qui fascine Actéon font par ailleurs davantage songer à une jungle menaçante qu’aux forêts de Poussin, les tenues des nymphes, les chasseurs en smoking et l’habit de cerf invoquent Cocteau.
Librement commentée par une narratrice placée en lisière du drame (excellente Judith Chemla), l’action bénéficie de l’alternance entre caméra portée et sur grue, et de la liberté de circulation des personnages depuis les coulisses jusqu’à l’avant-scène. Les lumières de Sylvain Séchet apportent une magie supplémentaire à l’ensemble en créant des transparences aquatiques fascinantes et de subtils clairs-obscurs de sous-bois.
Cette richesse sémiologique, la fluidité des événements visuels contrastent avec une réalisation musicale plus terre à terre ou du moins en recherche de sens. Si une ouverture nerveuse et un chœur de chasseurs (excellents Cris de Paris) nous propulsent efficacement au cœur de l’action, on s’aperçoit assez vite que le chef Geoffroy Jourdain préfère arrondir les détails de la partition en faveur d’une énergie compacte ou d’une langueur dépourvue d’accents. La variété de conception du rythme s’entend dans un petit ensemble, même quand une guitare impérieuse tente de rassembler les troupes dans la confusion des cadences.
Du côté de la distribution, la voix très agréable de Constantin Goubet ne convient pas vraiment au rôle d’Actéon, la zone dans l’aigu favorable à un haute-contre à la française ne l’est plus du tout pour un ténor léger, d’autant plus que le chef ne l’aide guère à conduire son air vif « Liberté » et le bel « Agréables vallons ». Certains tempos rendent inintelligibles les paroles et banalisent la ligne mélodique, ainsi Adèle Carlier (Diane) fait valoir un timbre irrésistible mais manque d’espace, seule Marielou Jacquard (Junon) parvient à imposer un flux dramatique favorable à la musique et au poème. Peut-être une recherche d’originalité a-t-elle fait oublier les particularités contradictoires d’un Charpentier formé en Italie donc sensible au socle d’une pulsation profonde et à la liberté française induite par l’accentuation du mot. Dans le cas présent nous n’avons ni l’un ni l’autre, au profit d’une narration visuelle très réussie.