À l'occasion d'un week-end consacré à la Syrie, la Philharmonie de Paris propose un ensemble de spectacles et concerts. Au cœur de cette initiative, il y a le dialogue et la découverte de cette culture, anesthésiée et ostracisée par la guerre. Le concert « Chants d'Alep » se concentre sur des chants traditionnels de la cité ottomane dans une première partie. Pour le reste, Fawaz Baker est mis à l'honneur. L'ancien directeur du conservatoire d'Alep est un compositeur, chanteur et grand joueur d'oud, qui exécute ce soir ses œuvres originales.

Baker est également l'interprète des chansons de la première partie, en compagnie de Samir Homsi aux percussions (et chant) et Helena Recalde à la contrebasse. Il prend le public par la main et l'accompagne dans les œuvres avec des explications imagées qui font traverser les saisons, différenciant un panel de pièces assez similaires au premier abord. Le climat est rendu intime par la douceur des timbres de l'oud, de la darbouka et de la contrebasse en pizzicati. Les chants mélismatiques tournent autour de courts refrains, à mi-chemin entre l'écrit et l'improvisation, une discipline complexe et contrôlée.

Après cette introduction qui laisse espérer encore plus de délicatesse, on entre dans une autre partie du concert : vient sur scène l'Orchestre de chambre de Paris, avec Douglas Boyd à la direction. Deux œuvres de Baker sont jouées : d'abord Abu Said, plaçant le compositeur en soliste avec son oud. La rencontre des timbres est intéressante, l'orchestre classique et l'oud tenant deux rôles si distincts dans l'imaginaire musical collectif. On trouve cependant de nombreux décalages entre les pupitres et le soliste. Quand les mélodies de ce dernier sont doublées, par le hautbois notamment, ils n'arrivent pas à être ensemble. On redoute même que Baker et l'orchestre n'arrivent pas à la fin du morceau en même temps. La deuxième pièce, Regard, est cette fois pour orchestre, chant et bendir – petit tambour sur cadre berbère –, toujours avec Baker en unique soliste. Le tempo étant plus tranquille et Baker tenant le rôle de la rythmique, l'exécution est plus stable et on en profite d'avantage.

Arrive enfin la dernière partie du concert. À l'ensemble déjà existant se greffe un chœur d'enfants, le Chœur de la filière Voix du Conservatoire du 18e arrondissement de Paris, pour les trois derniers chants composés par Baker : Aed Lana, Zal Ahyaf et Gazaleh. Les trois chants dépeignent des scènes métaphoriques, des appels à Dieu, aux morts et aux vivants. La musique est belle, chanteurs et musiciens maîtrisent leurs parties. Le moment aurait pu être touchant. Juste avant le refrain du premier morceau, soudain, les lumières de la salle se rallument et une partie du public se lève. Certaines personnes avaient participé à des ateliers de préparation en amont du concert, pour chanter avec les enfants les refrains des musiques.

Cette initiative, bien qu'inventive, pose plusieurs gros problèmes. D'abord, elle coupe une partie du public, toute celle qui a le malheur d'être assise derrière le public entraîné, de la scène et de ce qu'il s'y passe. Ensuite, si l'intention de rallumer les lumières était de créer une participation du public, à beaucoup d'égards, il n'en est rien. La plupart des spectateurs, n'ayant pas été entraînés, ne connaissent pas les paroles ou n'ont simplement pas envie de chanter. Par conséquent, beaucoup d'entre eux se mettent au contraire à discuter, ce qui casse complètement l'immersion admirablement créée en début de concert. Qui plus est, les personnes préparées à l'intervention n'étant pas des musiciens, beaucoup ne suivent pas au moment des départs ou oublient les paroles, ce qui met le chœur d'enfants en difficulté au lieu de les aider.

On peut apprécier ce qui a tenté d'être fait, admettre que l'on puisse partager de la musique de cette manière. La célébration vivante plutôt qu'un deuil grave et morne pour parler de la Syrie est un choix noble. Cependant, pour un sujet pareil, pour l'Histoire que porte la ville d'Alep, on ne peut s'empêcher de souhaiter plus. Plus de rigueur dans l'exécution, plus de profondeur dans le propos en filigrane. Le public, s'il s'est amusé, a-t-il vraiment communié avec ce qui lui a été présenté ? Certains peut-être, à une certaine échelle. On aurait souhaité que ce fût le cas de tous, vivement, et pour longtemps.

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