Plantons le décor : à 2h30 de route à l'est de Lisbonne, tout près de la frontière espagnole, une forteresse médiévale culmine à 900 mètres. C’est là qu’au hasard d’une halte cycliste, impressionné par le calme du petit village de Marvão et la vue à couper le souffle sur l’immensité de l'Alentejo, le violoniste et chef Christoph Poppen et son épouse la cantatrice Juliane Banse ont imaginé en 2014 un festival pas comme les autres : une vraie fête chaque été qui rassemble de jeunes musiciens venus du monde entier, du Portugal, d’Allemagne et d'Asie où les deux artistes ont leurs points d’ancrage, un enthousiasme contagieux. Le Festival international de Marvão clôturait sa 9e édition le week-end dernier, après nous avoir révélé nombre de jeunes interprètes, de créateurs et d'ensembles de haute volée.

C'est ainsi que le vendredi soir, dans la ville espagnole voisine de Valencia de Alcantara, on est heureux de retrouver, deux ans après sa venue au Festival Radio France Occitanie Montpellier, le jeune hautboïste français Gabriel Pidoux, très en verve dans le gracieux concerto de Richard Strauss et en bis dans une transcription osée d’Asturias d’Albeniz. Arrivé la veille de La Roque d’Anthéron, le Hong Kong Sinfonietta qui l’accompagne n’a pas encore pris ses marques dans une « Jupiter » de Mozart à laquelle le plein air ne rend pas justice, malgré la direction énergique de la cheffe Yip Wing-sie.
Le samedi, comme une nouvelle illustration de la centralité de la figure de Schubert dans cette 9e édition, une Schubertiade nous attend dans la petite église Saint-Jacques de Marvão où l’on croit à tort trouver un peu de fraîcheur – le thermomètre descendra rarement sous les 30° de tout le week-end ! Passons sur le bien longuet Rondo brillant qui ouvre le concert. Dès qu’apparaissent Leonor Amaral, Juliane Banse, Tiago Sousa et Nikolay Borchev, accompagnés du trop rare Wolfgram Rieger (grand maître ès lied), c’est l’ambiance bon enfant de ces soirées musicales entre amis qu’affectionnait tant le jeune Schubert que fait revivre un quatuor vocal aussi homogène qu’idiomatique, malgré la disparité de leurs origines.
Le dimanche à 16h, à la Schubertiade de la veille succède une sorte de « Portugade », à l’initiative de l'ensemble Ars ad Hoc formé de jeunes Portugais (âge moyen : 25 ans !), et une heure vingt de bonheur, comme celui d’observer la réaction des têtes grises, largement majoritaires, dans le public : il faut dire que la première pièce Atropos d’un compositeur de 19 ans, João Moreira, est jouissive en ce qu’elle illustre en une dizaine de minutes toutes les façons de se servir d'un archet et d'un instrument à cordes sans quasiment proférer une seule mélodie. Le Trio D581 de Schubert qui suit va vite rassurer l’auditoire : ces musiciens-là savent aussi jouer de la grande musique, avec un goût exquis, une sensibilité plus viennoise que nature – mention pour l’alto de Ricardo Gaspar au timbre si chaleureux.
Suit Talea, une pièce en sextuor de 1985 de Gérard Grisey, qui paraît soudain vieillie, datée, malgré toute l’admiration qu’on porte au compositeur français prématurément disparu en 1998. Les extraits de Petrouchka arrangés par le flûtiste et leader de l’ensemble, Ricardo Carvalho, achèvent de mettre tout le monde d’excellente humeur, en prévision du concert final dans la cour intérieure, vite archi-comble, du château médiéval de Marvão.
Le président de la République portugaise, fidèle soutien du festival, a pris place sans protocole au premier rang, entouré de plusieurs diplomates et élus locaux. Le Hong Kong Sinfonietta – dont Christoph Poppen est devenu le nouveau chef il y a peu de mois – a retrouvé cohésion et couleurs dans un programme patchwork pour un au revoir musical plein de gaieté. La Symphonie n° 35 « Haffner » de Mozart va rythmer la cérémonie des adieux : un premier mouvement plein d’élan pour l’ouvrir, un deuxième dans l’esprit d’une sérénade et un troisième un peu carré comme intermède, avant le dernier mouvement qui exaltera la discipline collective de l’ensemble pour clore le programme officiel.
Après la poésie concertante de Ginastera (Michael Faust à la flûte) viendront des airs et des duos de Massenet (Manon), Offenbach (que la « nuit d’amour » est belle sous les étoiles !), Mozart (Don Giovanni avec un jeune baryton biélorusse très en voix, Nikolay Borchev), les vétilleuses Variations pour clarinette de Rossini, tandis que Juliane Banse rappellera la grande mozartienne qu’elle est depuis longtemps avec le grand air de Vitellia de La Clémence de Titus.
Mais la révélation de la soirée, ce sera cette jeune violoniste britannique de 16 ans, Leia Zhu, qui s’attirera les acclamations prolongées du public avec les deux morceaux de bravoure que Saint-Saëns avait dédiés à Sarasate. On se demande pourquoi une telle artiste – première prestation à 12 ans aux Proms de Londres ! – n’a encore jamais eu les faveurs d’une invitation en France… Quoi qu'il en soit, ce finale aura bien résumé l’esprit d’aventure, de curiosité et d’amitié qui préside à ce festival au sommet !
Le voyage de Jean-Pierre a été pris en charge par le Festival international de musique de Marvão.