La grève fait rage, les klaxons tonnent avenue Montaigne, les voitures sont à l’arrêt, mais qu’à cela ne tienne : le Théâtre des Champs-Élysées est bien rempli. Deux Stabat Mater, un Salve Regina, un concerto : il fallait pourtant s’accrocher pour suivre le programme concocté par Thibault Noally et son orchestre Les Accents. Un programme dont on retiendra surtout – sans surprise – deux immenses voix, bouleversantes.
On peine cependant à entrer tout d’abord dans l’atmosphère recueillie du Salve Regina en ut mineur de Scarlatti. Car Les Accents portent un peu trop bien leur nom : le jeu des cordes est trop saccadé pour soutenir les progressions dynamiques et, surtout, des violons très présents empêchent de saisir les subtilités des inflexions de Véronique Gens. Seule parvient jusqu’au public son immense douceur – douceur du timbre, d’une rondeur et d’une pureté parfaite, mais aussi douceur dans les nuances, là où l’on aimerait parfois davantage d’exaltation. Même constat parmi les cordes : si Thibault Noally, qui abandonne parfois le violon pour donner les départs à ses musiciens, a du mal à les contenir dans un rôle d’accompagnement, il ne parvient pas pour autant à leur insuffler le feu que l’on attend des passages les plus exultants.
Le violoniste est plus à son aise dans le vif et brillant Concerto pour violon en mi mineur de Vivaldi. Fort d’une justesse impeccable et d’une virtuosité sans faille, il cisèle ses traits en veillant toujours à la netteté du son. On rêverait parfois d’un peu plus d’espièglerie et de mordant dans les attaques un peu molles du « Vivace » – toujours étrangement loin du talon – mais comment résister à la simplicité sincère des ornements de l’« Adagio » ? C’est toutefois l’« Allegro », où la fougue perce enfin, qui emporte l’adhésion du public du Théâtre.
Le contraste est saisissant avec un Stabat Mater de Vivaldi plus tragique que jamais. L’orchestre (en particulier ses basses) demeure à nouveau très – trop – présent et surtout très agité dans les premiers airs, mais la voix de Marie-Nicole Lemieux captive et incarne à merveille la douleur terrible du texte. L’insondable profondeur de ses graves est effrayante et sa diction précise, alliée à des respirations savamment placées, souligne le caractère dramatique et théâtral du « Cujus animam gementem ». Si les passages plus allants en sont alourdis, ce climat sublime le « Quis non posset » dont la chanteuse exagère chaque appoggiature – c’est un effet un peu facile, mais tellement touchant ! – et le « Eja mater », presque murmuré, avec très peu de vibrato. Côté orchestre, on apprécie la synchronisation parfaite des attaques et des progressions, et quelques belles trouvailles comme ces délicats arpèges de théorbe dans le « Stabat Mater dolorosa », mais les contrastes manquent cruellement. L’acoustique écrase certes les forte, mais on attend en vain de véritables piano qui mettraient mieux en valeur la chanteuse…