Création mondiale au Festival d'Aix-en-Provence. Ce n’est pas rien. L’opéra Innocence de Kaija Saariaho a enfin vu le jour cet été. De ce qu’il nous est permis de dévoiler sans révéler le dénouement, Innocence, c’est l’histoire d’un repas de mariage qui se déroule devant nous et, en parallèle, des personnages viennent pour nous fournir, on le comprend, l’historique d’un drame survenu dix ans plus tôt auquel certains ont succombé et d’autres survécu. Tout l’opéra, comme dans un parfait mouvement psychanalytique à la Ibsen ou à la Strindberg, se chargera au fur et à mesure de révéler à chacun son propre passé, comme un passé qui ne s’efface pas.
Sur scène, une tournette offre alternativement toutes les pièces d’une « international school », cohérente et efficace scénographie de Chloe Lamford où tout se joue dans le lieu même du drame. Dès lors, il y a le visible et le caché. Ce que l’on dit et ce que l’on tait. Le présent et le passé. La parole et le silence. Les voix que l’on voit et celles que l’on entend. Le réel et le spirituel, qui s’opposent ici, sorte de passage vers l’au-delà. Certains partis pris apportent une véritable transcendance à l’œuvre comme le croisement entre les voix chantées acoustiquement, ainsi que les voix parlées-chantées et le chœur parfois repris en off au micro : autant de procédés qui permettent de hiérarchiser les époques d’énonciation (moment du drame, moment du mariage et espace de l’au-delà).
Si l’opéra cultive une forme de secret, c’est pour mieux nous saisir dans la quête d’une vérité commune aux personnages. Les apparitions de Stella (Lilian Farahani, la mariée) – qui est comme nous, spectateurs, dans l’innocence du drame – sont souvent accompagnées d’un carillon aux effluves de mystère, appuyé par l’omniprésence des graves (clarinette basse, basson, contrebasson, trombone basse...) dans cette partition essentiellement climatique. Le reste évolue par alternance de nappes et jaillissements en tutti, dans un effet et un effort de compression, de concentration, pour nous offrir une très grande œuvre. La partition est servie d’une main de maître par Susanna Mälkki et le London Symphony Orchestra qui, dès l’ouverture de l’opéra, crée une boîte à musique que l’implacable et impeccable rigueur d’exécution transformera vite en boîte de Pandore, révélant un à un les secrets, les défauts et les maux des individus, de l’humanité.