En coproduction avec l’Opéra Royal de Mascate, où elle a été créée en mai dernier, la mise en scène conçue par Jean-Louis Grinda pour La Bohème est reprise sur la vaste scène du Grimaldi Forum à Monaco. Même si les décors rajeunissent d’un siècle l’action du livret original de Giacosa et Illica, tiré du roman Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger, nous restons dans une illustration visuelle très classique de l’opéra de Puccini.
En passant de 1830 à la période de l’entre-deux-guerres, l’arrivée de l’électricité permet des animations lumineuses colorées au deuxième acte, pour une action toutefois davantage sur un trottoir parisien qu’à l’intérieur du café Momus. Précédemment, la mansarde des bohèmes ne trahit pas vraiment la pauvreté de ses locataires, vaste loft lumineux bordé d’une verrière sur toute sa longueur. Quelques vidéos discrètes participent aussi à ce spectacle d’une reposante lisibilité, comme la neige qui tombe à l'acte III, devant la grille de la barrière d’Enfer. Seule originalité de la soirée, la projection d’un faux vieux film entre les actes III et IV, pour permettre le changement des décors. Le procédé se révèle plutôt efficace, le public écoute plusieurs mélodies au piano et voit s’écouler les mois à l’écran, les feuilles poussant sur les arbres en même temps que les oiseaux gazouillent.

Pour les deux rôles principaux, l’Opéra de Monte-Carlo a réuni le couple vedette Anna Netrebko et Yusif Eyvazov, désormais séparé à la ville. Moelleux vocal supérieur, subtiles nuances piano, appréciable réserve de puissance pour son registre aigu, la soprano russo-autrichienne utilise toutes ses qualités pour émouvoir en Mimì, jusqu’à sa mort, alors que les corbeaux s’envolent dans l’animation projetée en fond de plateau.
Avec son timbre pincé à l’émission dans le masque, le ténor azerbaïdjanais séduit beaucoup moins, même s’il faut lui reconnaître une grande générosité dans les intentions et un aigu particulièrement vaillant. Son grand air « Che gelida manina » est loin de ravir nos oreilles, mais son aigu glorieux et longuement tenu sur « la speranza » enthousiasme.
Les autres bohèmes sont distribués avec qualité, en tête le baryton Florian Sempey en Marcello, dans un style volontaire et très puissant dans la partie supérieure du registre. Dotée d'un grain de voix impérial, la basse Giorgi Manoshvili compose un Colline qui sait aussi toucher, comme dans son air « Vecchia zimarra », chanté avec douceur sur un petit filet de musique, peu avant le dénouement funeste. Pour compléter, Schaunard est défendu par Biagio Pizzuti, baryton également très agréable et solidement timbré. Programmée en Mimì pour la dernière des quatre représentations, Nino Machaidze est ce soir une Musetta de luxe, mettant de la classe à son personnage d’ordinaire bien plus aguicheur, et disposant par ailleurs d’un aigu facile et précis pour son air « Quando men' vo ».
Il faut saluer enfin l’admirable direction musicale de Marco Armiliato à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Le chef ose certains contrastes très marqués entre des passages allégés où l’auditeur peut goûter aux moindres détails de l’écriture puccinienne, et d’autres séquences plus animées musicalement, comme les scènes de foule à l'acte II où le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo se montre en belle forme. Parmi les nombreuses beautés musicales de la soirée, on peut citer l’exemple de l’introduction du duo Rodolfo-Marcello « O Mimì, tu più non torni » de l'acte IV, jouée avec une admirable délicatesse, avant de passer à une écriture de plus grande ampleur. Voilà une ouverture de saison monégasque réussie qui aura activement contribué, à côté de versions de concert de La rondine et Tosca, à la commémoration du centenaire de la disparition de Giacomo Puccini.