« Depuis deux ans, la chauve-souris a mauvaise presse. C’est donc avec un brin d’humour que les étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) ont choisi l’opéra éponyme de Johann Strauss fils pour leur projet pédagogique » peut-on lire dans le livret écrit par les étudiants de la classe de Métiers de la culture musicale. Sans pour autant faire explicitement allusion à l’implication malheureuse de l’animal dans la transmission des coronavirus, l’humour déborde dans cette production pétillante qui se tient dans la salle Rémy Pflimlin du Conservatoire, pleine à craquer d’un public venu encourager des étudiants dont c’est pour certains la première production d’opéra d’envergure.

<i>La Chauve-Souris</i> au CNSMD de Paris &copy; Ferrante Ferranti
La Chauve-Souris au CNSMD de Paris
© Ferrante Ferranti

Avant de s’attarder sur la distribution qui réserve quelques très belles surprises, soulignons d’abord l’efficacité de la mise en scène de Nicola Raab, qui reste simple et directe. Le canapé tient lieu d’élément central du décor, qu’il soit d’un tenant, face au public ou par blocs. Il symbolise tour à tour la grande tablée du bal chez le prince Orlovsky, les cellules de prison ou encore la maison d’Eisenstein. Les différentes entrées des personnages (des deux côtés de la scène, mais aussi par une porte située au fond côté cour ainsi qu’en dessous de la scène) donnent un effet vaudeville bienvenu et mettent particulièrement bien en exergue les nombreux quiproquos. Ces derniers sont de fait liés aux jeux de rôle qui sont au cœur de l’action, ce que souligne une penderie qui trône en fond de scène, où les personnages viennent troquer leur habit pour se déguiser en un autre.  

Ajoutez à cela une direction d’acteur vivante dans les nombreux moments parlés et la projection d’une surprenante vidéo de danse sur un remix électro du Beau Danube bleu lors de la fête chez Orlovsky, et on obtient une mise en scène qui retranscrit sans emphase ni complications mais avec esprit le tourbillonnement du livret.

Loading image...
La Chauve-Souris au CNSMD de Paris
© Ferrante Ferranti

Il faut dire que cette mise en scène semble particulièrement bien correspondre aux chanteurs, qui n’ont aucun mal à incarner les différents personnages. Le ténor Benoît Rameau est sur tous les fronts et se démène pour donner à Eisenstein qu’il incarne un côté aussi drôle que boulimique, pouvant compter sur un solide jeu d’acteur. Si sa voix marquée par un timbre chaud et une séduisante projection tend à faiblir à l’acte III, la performance scénique n’en reste pas moins remarquable. Les belles surprises vocales viennent des rôles féminins. Les deux grands rôles de soprano (Adele, la servante et Rosalinde, la femme d’Eisenstein) se complètent bien. D’un côté, Marie Lombard (Adele) affiche une voix souple et puissante qui se défait sans problème des vocalises parfois acrobatiques de Strauss ; de l’autre, Parveen Savart (Rosalinde) se démarque par un vibrato serré et une voix charnue qui passe sans difficultés au-dessus de l’orchestre. Yeongtaek Seo (Alfred) ne démérite pas et attire l’oreille par un sens du phrasé élégant, tandis qu'Aymeric Biesemans (Frank) forme un duo énergique avec Benoît Rameau, en particulier à l’acte III.

Loading image...
La Chauve-Souris au CNSMD de Paris
© Ferrante Ferranti

Si cela bouillonne sur le plateau, l’orchestre n’est pas moins en ébullition dans la fosse, chauffé à blanc par Lucie Leguay dès la fameuse ouverture, ici pleine de fougue. Assistante de Mikko Franck à l'Orchestre Philharmonique de Radio France, la jeune cheffe, dont c’est le troisième opéra dont elle assure la direction musicale, semble parfaitement à l’aise avec le style viennois si particulier. Son interprétation vivifiante, marquée par des ralentis finement exécutés et des changements de tempos toujours clairs et francs, convainc pleinement. L’orchestre du CNSMDP s’en donne à cœur joie et suit avec une grande attention les chanteurs et le chœur.

****1