Parce qu’il n’est pas du sérail, parce qu’il est vindicatif dans ses paroles comme dans sa musique, Lucas Debargue jouit depuis son irruption au Concours Tchaïkovski d’un impressionnant succès de tribune. Mais une fois passé le triomphe Gaspard, le choc Medtner, que reste-t-il ? On l’a vérifié à chaud, de nos propres oreilles, dans le Concerto n°2 de Beethoven qu’il donnait Salle Gaveau avec l'Orchestre de Chambre de Biélorussie, sous la direction d'Evgeni Bushkov.
Inutile de s’étendre sur la première partie du concert, qui n’est que mise en train un peu laborieuse des pupitres de cordes. L’indécision se reflète jusque dans le programme, qui nous apprend qu’un mystérieux Yantchenko prendra la place de Grieg attendu (les deux Mélodies nordiques). Mais Yantchenko sera vite oublié et Tchaïkovski pas assez à notre goût. L’exécution de la Sérénade est bien fragile (les traits décoratifs sont des casse-pipe garantis pour qui n’a pas suffisamment travaillé) et le temps aurait semblé long si le chef Evgeni Bushkov n’avait introduit quelques finesses de phrasé, portées par un très beau legato (notamment dans le Tempo di Valse). Car question technique, on est à la fête : la justesse flageole et tout le monde n’a pas l’air du même avis au sein des pupitres ; le son fuse dans des directions ouvertes, sans trouver d’unité.
S’il semble engagé dans une aventure viscérale, accompagnant le moindre tutti de ses gestes, Lucas Debargue a quelques difficultés à joindre les deux bouts du Concerto sans se laisser distraire. Nous voilà embarqués dans des déplacements de sens incessants, va-et-vient entre des choix qui finissent par se contredire ; une position qui pourrait passer pour désespérément progressiste, mais au prix de quoi ? Au prix du texte. À force de caprices, nombre de détails écrits ont été escamotés. Ce que Lucas Debargue oublie peut-être, c’est que le respect du public passe avant tout par le respect de l’œuvre qu’on lui fait entendre.
L’Allegro con brio fait entendre un jeu anguleux et géométrique, parcouru de coups secs ; on y sent un désir d’immédiateté, un souci de frapper bref et juste. Lucas Debargue semble privilégier l’articulation à la ligne de chant. Rarement la palette n’a été si moderne qu’en ce délié, ces touches de lumière diaprée qui concluent l’Adagio, voulu lancinant. Mais c’est avant que le Rondo ne tombe de nulle part, et ne nous en arrache un peu maladroitement. Nous voilà partis dans quelques minutes de course contre la montre ; la pulsation est diffuse, renégociée en permanence, d’où de nombreux cas de bousculade avec l’orchestre.