Le Nederlands Dans Theater 1 (NDT 1), la prestigieuse compagnie de danse contemporaine basée à La Haye et dirigée par Jiří Kylián pendant un quart de siècle, était de passage la semaine dernière au Théâtre de la Ville avec un programme lumineux et subtil, formé de deux œuvres qui travaillent la notion de nuance avec une véritable puissance visuelle. Avec une maîtrise somptueuse, les interprètes du NDT 1 ont illustré une fois de plus leur virtuosité et la profondeur de leur répertoire contemporain.

La soirée s’ouvre sur une pièce emblématique du répertoire du NDT 1, créée en 2012 par Crystal Pite sur des morceaux de Brahms : cinquième collaboration entre la talentueuse chorégraphe canadienne et la compagnie néerlandaise, Solo Echo est une chorégraphie d'une grande pureté, bien-aimée du public et souvent représentée sur scène depuis sa création. La silhouette d’un homme se découpe à travers la pénombre, éclairée par un rai de lumière. Derrière lui, des flocons blancs tombent sur un fond noir, et les lumières signées par Tom Visser, aussi simples que sublimes, nimbent la scène d’un clair-obscur chaleureux. D’autres danseurs entrent en scène en glissant silencieusement au sol, et les corps tissent alors des liens entre eux pleins de grâce. Les mouvements, qui se propagent d’une personne à l’autre, sont tourbillonnants, suspendus, sans bruit, et font écho à la danse ouatée des flocons en arrière-plan.
La neige révèle ici un état intime, la méditation d’un danseur dont les pensées vagabondent et font surgir une ronde d’images. Le corps de l’homme semble se dédoubler en de nombreuses silhouettes vêtues identiquement, qui répètent certains de ses gestes ou évoquent son angoisse – lorsque les visages se figent pour former une grimace horrifiée – et sa solitude. Sur une image magnifique qui achève Solo Echo, les danseurs se mettent en ligne et s’effondrent les uns après les autres, en échappant des mains ouvertes de la personne derrière eux. Ne reste alors sur scène qu’un homme inanimé, enseveli sous la neige.
Dans un art qui s’attache à figurer l’imperceptible, Christos Papadopoulos imagine le mouvement comme une série de transformations minuscules. Représenté pour la première fois il y a quelques semaines à La Haye, Ties Unseen s’insérait alors dans un programme justement intitulé « Architecture de l’Invisible ». Le travail de Papadopoulos, chorégraphe qui émerge de plus en plus sur les scènes internationales, n’est pas sans rappeler celui de Sharon Eyal à laquelle il emprunte avec droit – et génie – la chorégraphie puissante du mouvement minuscule, mais aussi certains gestes, comme les piétinements sur la pointe des pieds, malheureusement un peu trop calqués sur le travail de la danseuse israélienne.
Le rideau s’ouvre ici sur une pénombre épaisse dont se détachent des corps, vibrant faiblement sur la bande-son électro de Jeph Vanger. De façon très progressive, l’obscurité s’estompe et révèle un groupe nombreux de danseurs, debout, pieds arrimés au sol, les bras et le visage ondulant de droite et de gauche dans un tout petit périmètre. Les mouvements sont parfois fluides et parfois plus secs, comme si les têtes rencontraient une paroi invisible et limitante.
Le beat sourd semble amorti, lointain et, conjugué à l’ondulation de ces corps plongés dans une pénombre bleue, il évoque une image aquatique saisissante. Par des pas au début invisibles, puis amplifiés, le groupe se déplace au sol et parcourt des distances. Les vagues de bras s’accélèrent et s’intensifient à mesure que le groupe avance ou recule, tandis que la lumière devient de plus en plus blanche. Les danseurs forment un matériau fluide et uniforme, comme les particules d’un tout en expansion infinie, dont on aurait du mal à constater les variations d’intensité graduelles, les nuances amplificatrices.