Depuis leur intégrale Beethoven, qui avait obtenu à Paris un succès considérable, nous n’avions pas eu l’occasion de reparler des Berliner Philharmoniker. Ultime étape de leur tournée d’adieu avec Sir Simon Rattle, la Philharmonie accueillait de nouveau ce dimanche la phalange berlinoise le temps de deux Créations : en miroir du chef-d’œuvre de Haydn, ici décomplexé et futuriste, une première française de son compatriote Georg Friedrich Haas.
Personne ne s’étonnera, je crois, de l’affirmation que je veux placer en tête de cette critique : en voulant s’évader de la routine et des automatismes pour proposer une Création personnelle, Rattle a utilisé avidement toutes les ressources expressives à sa disposition, au risque de manquer de hauteur de vue. Il est certain que pour préserver la cohérence d’une telle œuvre, il faut l’épouser dans sa continuité, consentir à ne pas systématiquement en exciter le détail ; il s’agit de respecter les préceptes fondamentaux de l’unité et de l’accord interne, en somme tout ce que le désir de personnifier l’instant détruit. Or c’est justement cette « sculpture de l’instant » qui interpelle (et émerveille !) dans la lecture de Rattle. Mais pour habiter l’instant comme il le fait, sans perdre l’intérêt du public, il faut alléger, bouleverser le texte, le livrer aux métamorphoses de l’acoustique… En somme, rendre chaque instant foncièrement différent de celui qui lui précédait. En résulte une multiplicité qui inquiète tout autant qu’elle réjouit : ceux qui sont venus « pour se distraire » ressortent comblés, tandis que ceux qui attendaient une transfiguration repartent la faim au ventre.
Si l’on s’intéresse au niveau purement instrumental, il va de soi que la rigueur est exemplaire dans les rangs des Berliner (jamais détimbrés, les pianissimos sont d’une justesse terrifiante dans la « Représentation du Chaos » !). Et à cela s’ajoute une subjuguante virtuosité, qui pourrait paraître terne si l’on n’était frappé par une qualité commune à ces musiciens, une qualité qui est de plus en plus rare dans les orchestres : l’écoute. On peut seulement regretter (mais c’est être pinailleur) de ne pas sentir, par moment, un abandon plus proche de la vie ; on se rend compte de la discipline nécessaire pour atteindre à cet éclat, mais celle-ci reste parfois trop apparente. Enfin, les chœurs d’Accentus (préparés par Marc Korovitch), plus pénétrants que massifs, s’intègrent sans problème dans cette conception qui privilégie la variété ; le chef va chercher le frisson dans les inflexions les plus ténues, parvenant à des caresses diaphanes que seule une acoustique comme celle de la Philharmonie permet.