Point de discours polémiques ni de changement de chef cette semaine à l’Auditorium de Lyon, mais un beau programme presque exclusivement vingtiémiste où deux tubes du répertoire, le Prélude à l’après-midi d’un faune (1892) et le Concerto pour orchestre (1943-44) encadrent une rareté, la Sérénade pour ténor, cor et cordes (1943) de Britten, assurément le point culminant d’une belle soirée musicale tout en finesse non sans virtuosité collective.
Guillaume Tétu, cor solo de l’Orchestre national de Lyon depuis 2009 où il est entré à l’âge de 21 ans, est sans conteste le héros de la soirée. Le prologue de l'œuvre de Britten laisse le cor seul ouvrir la sérénade, et l’on est immédiatement séduit par les multiples qualités qu’offre le jeu solide de Tétu : infinie douceur dans les attaques, délicatesse et extrême précision du détaché, son à la fois doux et robuste. Mais le soliste ne se limite pas à exposer seul ses atouts, et la fusion de timbre qu’il opère à l’entrée du ténor Toby Spence rend admiratif tant les deux artistes chantent d’une seule voix. Appuyé par des cordes suaves dans une atmosphère crépusculaire, le duo fait entendre des couleurs d’un grand raffinement et d’une expressivité constante, la musique vivant et se mouvant en permanence. La sonorité du cor redouble d’intensité émotionnelle depuis les coulisses où Tétu se rend vers la fin. On pense alors au solo de cor de postillon de la Symphonie nº 3 de Mahler, dans l’expression mélancolique parfois obscure qui les rapproche.
Si le ténor se montre d’une grande sensibilité et d’une touchante éloquence dans les vers des différents poètes anglais que convoque Britten (Cotton, Johnson, Keats…), on regrette toutefois une voix trop faible qui a du mal à porter dans tout l’Auditorium, et qui gâche quelque peu une belle complicité avec le corniste mais aussi avec l’orchestre de cordes.
Avant cela, le public lyonnais entendait le fameux Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, souvent au répertoire de l'orchestre. L’interprétation de ce soir marque par sa finesse, à l’image de la flûte très douce d’Emmanuelle Réville. Emmenés avec autorité par Lawrence Renes, les musiciens montrent toute la délicatesse dont ils sont capables, entre des cordes soyeuses et des vents aux sonorités soignées et subtiles. La direction de Renes assure la continuité entre les pupitres, quoiqu’un peu rigide au niveau de la gestique et quelque peu prévisible par moment, notamment des ralentis trop mécaniques.
Le Concerto pour orchestre de Bartók sera de la même trempe, entre des musiciens bien engagés et une direction solide mais manquant parfois d’originalité. Ce concerto est l’occasion pour l’Orchestre national de Lyon de montrer sa cohésion et ses qualités tant individuelles que collectives. Entre un « Giuoco delle copie » plein d’esprit où bassons, hautbois ou trompettes se promènent de sixte en quarte et une « Elegia » emplie d’une intense force dramatique, aux accents soulignés, les musiciens ne déméritent pas dans cette partition difficile. Au-delà des aspects purement instrumentaux, toute l’œuvre est traversée d’une joie collective qui tourne à la jubilation dans le finale où ressort avec clarté l’influence du folklore des musiques populaires hongroises et roumaines pris dans une vélocité tourbillonnante.
Côté direction, si on ne peut pas reprocher au chef un manque de clarté et de vision, plus de mordant et d’ardeur et moins de verticalité auraient permis d’entendre un Bartók encore plus incisif et humoristique. Mais ces légères réserves ne doivent pas occulter la magnifique démonstration qu’ont offerte les musiciens de l’Orchestre national de Lyon, dont le corniste Guillaume Tétu s’est constitué le fier et éblouissant porte-parole.