Avec Le Sang du glacier, un opéra de chambre co-produit par l’Opéra de Lyon et le Théâtre du Point du Jour, Claire-Mélanie Sinnhuber (compositrice) et Lucie Vérot Solaure (librettiste) promettent une fable écologique sur le sujet des algues rouges qui prolifèrent sur les glaciers et empoisonnent l’eau. Vingt ans après la disparition de leur père alpiniste, Sofia et Matteo apprennent que son corps a été retrouvé sur un glacier. Le deuil de ces scientifiques, spécialistes pour l’une de l’eau et pour l’autre de la glace, prend alors des chemins bien différents. Quand Sofia, prostrée dans son laboratoire, priorise son travail sur l’urgence écologique et se prépare à partir en mission, Matteo s’occupe des démarches liées au décès (non représentées sur scène).

<i>Le Sang du glacier</i> au Théâtre du Point du Jour &copy; Jean-Louis Fernandez
Le Sang du glacier au Théâtre du Point du Jour
© Jean-Louis Fernandez

Scindé en deux par une grande vitre quadrillée, l’espace accueille d’un côté les trois musiciennes qui constituent l'ensemble instrumental (harpe, accordéon, violoncelle) et de l’autre le laboratoire de Sofia. À jardin un bureau de travail, à cour une paillasse et un glacier miniature immergé dans l’eau. Le déversement de l’eau rouge infestée de l’algue qu’étudie Sofia l’empêche de partir en mission et se retrouve joliment représenté dans l’aquarium.

Tout comme le livret, la musique avance inexorablement sur le même plan et confine à l’ennui. Pas d’action, pas de contrastes, même quand Sofia, campée par la soprano Charlotte Bozzi, exprime toute sa rancœur envers un père qui chérissait plus l’alpinisme que ses enfants. Claire-Mélanie Sinnhuber use d’un systématisme inutile en répétant immédiatement chaque section narrative alors que les lignes vocales, très lyriques, n’offrent aucune variété, ni à Charlotte Bozzi et son discours saccadé, ni à Mathieu Dubroca, enfermé dans des phrases lentes et longues.

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Le Sang du glacier au Théâtre du Point du Jour
© Jean-Louis Fernandez

Malgré un livret peu porteur, les deux chanteurs réussissent à capter l’attention et à rendre le texte tout à fait compréhensible en l’absence de surtitres. La voix de la soprano, riche en harmoniques et homogène entre le medium et l’aigu rencontre la rondeur du baryton. Malheureusement, les rares duos, toujours construits en octaves, ne mettent pas en avant leurs timbres. Du côté des instruments, c’est le même écueil. Même si l’accordéon (Mélanie Brégant), le violoncelle (Lila Beauchard) et la harpe (Rose Pollier-Méliodon) oscillent entre sons bruiteux (coups sur les caisses de résonance, glissandos), harmoniques et hauteurs définies, tout semble anecdotique. Pourtant, Sinnhuber maîtrise habituellement la musique de chambre avec inventivité.

Les longs intermèdes musicaux à l’écriture en arpèges ou en gammes n’entrent jamais en connivence avec l’action scénique (Sofia étudiant l’algue rouge, s’empressant de condamner le robinet de sa paillasse, se changeant pour partir en mission). Quand les instrumentistes, habillées en tenue de montagne, se lèvent pour parodier vocalement, en une polyrythmie déconcertante, des « alpinistes » qui s’offusquent des déchets laissés sur le glacier en prenant des photos, le propos ne fait pas mouche. Quand le père, incarné par Mathieu Dubroca, hante Sofia en narrant son ascension, l’émotion n’est pas au rendez-vous. Quand les deux scientifiques font une vidéo d’explication sur l’algue pour les réseaux sociaux, la démarche paraît futile.

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Le Sang du glacier au Théâtre du Point du Jour
© Jean-Louis Fernandez

Le traitement poétique du glacier infesté qui rend les corps des alpinistes aurait pu donner une histoire poignante conjuguée aux enjeux écologiques d’aujourd’hui. Le titre de l'ouvrage vient de l’appellation scientifique « sanguina nivaloides » : un phénomène réel de prolifération d’algues. Seulement, voilà le dénouement de l’histoire : après que Sofia et Matteo auront versé les cendres de leur père dans la source du glacier, miraculeusement, l’algue disparaîtra définitivement et tout reviendra à la normale. Avec cette conclusion aussi inattendue que mal amenée, le réalisme – pourtant maître mot de l’histoire et de la mise en scène – est écarté et la cause écologique balayée. En 2024, il paraît déplacé de traiter un sujet aussi important avec tant de désinvolture.


Le voyage de Chloë a été pris en charge par l'Opéra de Lyon.


L'éditeur du Sang du glacier ayant demandé à exercer son droit de réponse, nous publions ci-après leur réaction [mise à jour samedi 14 décembre] :

DROIT DE RÉPONSE :

La critique de Madame Chloë Rouge contient cinq erreurs factuelles répertoriées ci-après :

1. « Claire-Mélanie Sinnhuber use d’un systématisme inutile en répétant immédiatement chaque section »
Faux : il n’y a dans toute la partition aucune répétition de section à proprement parler. Le langage de Sinnhuber est par essence circulaire mais au niveau des cellules, et celles-ci ne se répètent jamais de façon stricte mais au contraire varient toujours.
2. « les rares duos, toujours construits en octaves »
Encore faux : dans le peu de dialogues entre les personnages qu’offre le livret, seules quelques phrases clés sont chantées en homorythmie par les deux chanteurs (d’ailleurs pas toujours à l’octave, ni même parallèles). L’écriture dialoguée est bien plus importante que ces rares doublures. 
Ainsi :
- le duo dialogué de la colère de Sofia et de son frère consterné « Mais qu’il y reste ! » ;
- le duo dialogué du désaccord « J’y ai toujours cru » ;
- le duo scientifique en relais entre les personnages qui se termine par une écriture en fugato entre les deux voix et les instruments (« où que vous soyez, vous êtes reliés au glacier »).
3. « les lignes vocales, très lyriques, n’offrent aucune variété »
Toujours faux : si l’écriture du personnage de Matéo est très homogène afin d’incarner la stabilité du personnage, celle du père mort est, elle, contrastée, va jusqu’aux suraigus et se déploie dans un large ambitus. Le personnage de Sofia, quant à elle, offre une palette extrêmement variée : du parlé au chanté, de la comptine au chant de colère colorature, du chant rythmique à la tendresse (comme l’a d’ailleurs décrit Pierre Gervasoni dans sa critique parue dans le journal Le Monde).
4. « Des « alpinistes » qui s’offusquent des déchets laissés sur le glacier »
Ces alpinistes ne s’offusquent aucunement mais sont au contraire fascinés par les objets abandonnés, dont ils rient sur un mode macabre et grotesque.
5. « L’algue disparaîtra définitivement et tout reviendra à la normale »
Cinquième erreur : une ultime alerte résonne, un son étrange émane des musiciens et le glacier se remet à rougir – ce n’est donc pas un happy end. 

Aura été éditions

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