En ce Noël 2024, l’Opéra de Lyon crée la surprise avec son Turc en Italie. L’œuvre de Rossini y est jouée pour la toute première fois depuis sa création à la Scala en 1814, dans une mise en scène fort ingénieuse de Laurent Pelly, qui tire son inspiration de la fotonovela et crée aussi les costumes adéquats.

<i>Le Turc en Italie</i> à l'Opéra de Lyon &copy; Paul Bourdrel
Le Turc en Italie à l'Opéra de Lyon
© Paul Bourdrel

Sur l’ouverture, dont l’entrain annonce déjà les tempos aussi inspirants qu’impitoyables menés par le maestro Giacomo Sagripanti par la suite, s’introduit une scène pavillonnaire. On croirait d’abord la jeune femme étendue sur son transat aux abords d’une large villa, mais déjà des lignes horizontales et verticales, murs et haies, ainsi que le rapprochement spatial de la maison voisine viennent refermer radicalement l’espace, tout comme l’horizon de Fiorella, lectrice assidue de revues féminines et exaspérée par son beauf de mari.

Ce qui s’annonce sous les atours d’une banale dispute conjugale constitue les prémices de l’intrigue à venir, et les lignes qui rétrécissent la villa à une maison-type de banlieue française des années 1970 inaugurent l’esthétique du roman-photo et de ses cases. Celle-ci sera renforcée par l’apparition progressive sur scène de véritables cadres, dans ou derrière lesquels les chanteurs se glissent pour camper leur personnage, dans des postures et gestes propres aux clichés de l’amour.

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Le Turc en Italie à l'Opéra de Lyon
© Paul Bourdrel

Le Turc en Italie se prête bien à cette réactualisation visuelle. Comme dans le genre de la fotonovela, son personnel est restreint : six personnages principaux se partagent pour l’essentiel l’intrigue, simple. Le couple légitime est constitué par Don Geronio et Fiorella : Renato Girolami campe excellemment le buffo grâce à son talent, son expérience dans le jeu et sa solide tessiture de baryton-basse.

La véritable star de la distribution, c’est Fiorella, qu’incarne à la perfection Sara Blanch. Il n’est pas facile de succéder à des interprètes aussi célèbres que Maria Callas, Montserrat Caballé ou Cecila Bartoli, mais la soprano colorature catalane est tout bonnement stupéfiante dans son dévouement à une partition qui relève du sport à très haut niveau. Les suraigus sont alignés et articulés avec soin et sa vélocité est souple quand les cordes entament leurs courses folles. Son personnage ne quittant presque jamais le plateau, l’exploit de Sara Blanch est aussi prodigieux qu’admirable : la coquetterie de séductrice de Fiorella est susurrée avec la plus grande crédibilité, comme l’est l’aigreur de la ménagère acariâtre ou la jalousie mesquine face à une rivale, puis, au moment où son mari cocu la vire du petit pavillon pénard, son pathos, matérialisé dans des facettes vocales d’une tendresse irrésistible.

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Le Turc en Italie à l'Opéra de Lyon
© Paul Bourdrel

Autour du couple gravite la brochette des amants passés et actuels de la vedette. Il y a d’abord l’amant du passé, Narciso. Le ténor australien Alasdair Kent s’acquitte de ce rôle d’ingénu vaudevillesque très honorablement. On comprend que ses suraigus soient un peu forcés dans le contexte hivernal, qui a laissé plusieurs chanteurs de la distribution sans voix ou en convalescence pendant quelques jours. La basse roumaine Adrian Sâmpetrean investit quant à elle le rôle-titre du Turc Selim avec beaucoup d’expressivité virile, qui sied au parti pris de mise en scène. Son timbre est fondant sur toute la tessiture et sa technique sans faille. Les duos de Selim et de Fiorella sont hautement crédibles grâce à la parfaite interaction des deux interprètes ; s’y ajoutent les œillades et duos avec le second rôle de la bohémienne Zaida, délaissée par le prince ottoman. La mezzo Jenny Anne Flory l’interprète avec un charme révolté, tandis que Filipp Varik, comme elle issu du Lyon Opéra Studio, prête avec talent son ténor de qualité au rôle de l’ami Albazar.

Fin commentateur de l’intrigue amoureuse qui se joue sous ses yeux, le poète Prosdocimo l’exploite à ses propres fins, sa propre pièce à écrire, tout en l’influençant en provoquant les rencontres entre personnages et en suggérant des actions à venir : le baryton de Florian Sempey est suave dans son interprétation très spirituelle de l’artiste sans le sou, dont le peignoir vert tendre tranche volontairement avec les robes d’été chics de Fiorella – mais crée une complicité relâchée avec Geronio, qui tond sa pelouse en marcel.

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Le Turc en Italie à l'Opéra de Lyon
© Paul Bourdrel

La mise en scène remarquable est soutenue par une excellente direction et exécution à l’orchestre, à laquelle Giacomo Sagripanti contribue en personne au pianoforte très dynamique. Ses tempos très exigeants ne manquent pas de laisser la place suffisante également aux moments lyriques, produisant décidément un Turc en Italie d’anthologie sur les bords du Rhône.

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