Le week-end de clôture du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence montre toute la richesse de sa programmation : à côté des effectifs conséquents de musique sacrée et symphonique, on a pu également écouter deux très intéressants concerts de musique de chambre. Les ensembles convoqués sont présentés comme un rassemblement d’artistes invités pour former un quintette autour d’une figure principale : Gil Shaham pour le premier concert et Renaud Capuçon en clôture du festival.

Le premier réunissait autour de lui de jeunes artistes prometteurs, remarqués lors de concours internationaux et/ou dans d’autres festivals. Cette nouvelle génération a effectivement un talent indéniable : la violoniste Aubree Oliverson est dotée du leadership indispensable au premier violon d’un ensemble de chambre et a des facilités de justesse impressionnantes dans l’aigu de son instrument, Karolina Errera tire de son alto un son ample, généreux et chaleureux, très agréable à entendre notamment dans les graves, le violoncelliste Aleksey Shadrin semble taillé dans le lyrisme et le pianiste Federico Gad Crema, remarqué à Gstaad en février dernier, dispose de possibilités techniques exceptionnelles. Cerise sur le gâteau, tous sont éminemment musiciens.
Malgré toutes ces qualités individuelles, le Quintette avec piano de Chostakovitch qui ouvre le concert laissera l’auditeur sur sa faim. À l’image de l’ouverture grandiose que propose Federico Gad Crema, l’œuvre est interprétée comme un sommet de musique romantique. Cette interprétation foisonnante et lyrique amoindrit la portée émotionnelle de l’œuvre qui, abordée avec plus de prosaïsme et d’aridité, peut pétrifier l’auditeur. Chacun vibre de son côté, ce qui engendre un certain manque d’homogénéité, notamment pendant la fugue dont les entrées sont toutes différentes. Dommage, car la nuance piano d’ensemble était des plus réussies. Les passages rythmiques plus percussifs, pendant lesquels les musiciens ont moins le loisir de s’épancher de mille façons, sont beaucoup plus convaincants, en particulier dans le Scherzo.
Les élans slaves dansants du Quintette pour piano et cordes n° 2 de Dvořák conviennent beaucoup mieux à l’ensemble fraichement constitué. Dès le premier thème énoncé au violoncelle, on ne peut que plonger dans le lyrisme passionné d’Aleksey Shadrin. Le second thème du Scherzo, joué successivement par l’alto, le second violon (Aubree Oliverson, qui était premier violon dans le premier quintette) et le piano sont l’occasion de s’enthousiasmer sur les sonorités enjouées des jeunes artistes, aux côtés desquels le violon de Gil Shaham sonne presque aigre sur sa corde de mi. Si quelques choix d’interprétation agacent, comme lorsque les violons alourdissent l’Andante en appuyant les contretemps du passage plus animé du mouvement, on admire tout au long de l’œuvre la palette sonore de Federico Gad Crema. Sans se mettre particulièrement en avant, le pianiste multiplie les fins de phrases soyeuses d’une sonorité moirée tout en sachant insuffler une dynamique au quatuor, sans pour autant que ses batteries ne sonnent mécaniques.
Le public du Théâtre du Jeu de Paume, petite salle à l’acoustique idéale pour la musique de chambre, aurait apprécié un bis de ce jeune quintette enthousiasmant. C’était compter sans la générosité de la programmation du Festival de Pâques : ce concert étant à 18h, il ne faut pas s'attarder, pour laisser aux spectateurs assidus le temps d’aller jusqu’au Grand Théâtre de Provence pour y écouter la Missa solemnis à 20h30.
Le lendemain à 17h avait lieu en grande pompe le concert de clôture de cette onzième édition du festival. Le choix du GTP est malheureux par rapport au programme : pour le Trio pour piano et cordes n° 2 et le Quintette « La Truite » de Schubert, on aurait préféré retourner au Théâtre du Jeu de Paume. On y aurait retrouvé son acoustique précise et un public attentif. La qualité musicale exceptionnelle de ce dernier concert nous fera cependant oublier bien vite ces réserves.
Dans le trio, Renaud Capuçon est entouré du pianiste Mao Fujita et de la violoncelliste Julia Hagen. Dès l’ouverture du premier mouvement, les trois artistes nous proposent une interprétation tout en rebond. La musique jaillit de leurs attaques précises, tout respire tout en étant conduit à merveille. Le timbre du violoncelle de Julia Hagen est d’une beauté à couper le souffle, son archet souple n’écrase jamais la corde et délivre un chant pur qui va de l’avant. Mao Fujita joue d’un piano de cristal au son léger et lumineux, avec une économie de pédale salutaire. Aucune difficulté technique ne semble le troubler, il peut enchainer des cascades perlées de doubles croches à la main droite tout en assurant l’assise de la basse à la main gauche. Le deuxième mouvement de l’œuvre, si connu du fait de son utilisation dans Barry Lyndon, est réellement un Andante, loin des interprétations romantiques stéréotypées qu’on peut entendre parfois où l’on croule sous le vibrato et le son trop épais.
L’équipe est rejointe en deuxième partie par l’altiste Paul Zientara et la contrebassiste Lorraine Campet, qui s’était glissée dans le pupitre des contrebasses de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris l’avant-veille. Les nouveaux venus s’intègrent parfaitement dans le groupe, et la Truite qui nous est servie est parfaitement assaisonnée, dans la même esthétique que le trio précédent. On apprécie la cohésion du violoncelle et de l’alto, aussi bien dans l'accompagnement que dans l'enivrant duo du deuxième mouvement. Sans aucune lourdeur, Lorraine Campet déploie toutes les facettes de son instrument : l’archet accroche à peine la corde pour participer au dynamisme de l’ensemble sans l’écraser, mais peut également produire des moments chantés tout en élégance, comme cette troisième variation du quatrième mouvement, en duo avec le violoncelle.
Les interprètes souriants auront donc proposé un Schubert pétillant pour clore deux semaines de programmation chargée de musique sérieuse, notamment de musique sacrée. Un choix qui permet habilement de finir sur la traditionnelle coupe de champagne offerte par le Festival de Pâques, en attendant l’édition de l’année prochaine.
Le voyage de Pierre a été pris en charge par le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence.