Où se dirige donc ce flux qui descend le cours Mirabeau alors que le soleil éclatant laisse un peu de répit à la foule réfugiée sous les auvents des terrasses des cafés aixois ? Vers le Grand Théâtre de Provence, dont les rebords de l’architecture évoquant la montagne Sainte-Victoire reluisent de guirlandes lumineuses. C'est ici que se tient le quartier général du Festival de Pâques, qui a invité l’Orchestre de l’Opéra national de Paris pour ouvrir le dernier week-end de sa programmation.

Daniele Gatti dirige l'Orchestre de l'Opéra national de Paris au Festival de Pâques © Caroline Doutre
Daniele Gatti dirige l'Orchestre de l'Opéra national de Paris au Festival de Pâques
© Caroline Doutre

« Et tout ce monde tient dans une fosse ! » se dit-on avec étonnement et une pointe d’effroi en constatant que le large effectif de l’orchestre occupe facilement toute la vaste scène du GTP. Que ces musiciens doivent se sentir à l’aise ainsi à l’air libre et avec de l’espace ! La qualité sonore et musicale que tirera Daniele Gatti de l’ensemble confirmera cette impression.

Dès le début du Lever du Jour qui ouvre les extraits symphoniques du Crépuscule des dieux de Wagner joués ce soir, on pressent que l’on aura droit à une grande interprétation. L’inquiétant roulement de timbales murmuré par un Nicolas Lethuillier qui éblouira par sa technique tout au long du concert, puis le leitmotiv implacable de la fatalité aux cors et aux tuben et la première phrase sombre des violoncelles : tout est joué dans une nuance piano qui plonge immédiatement l’auditeur dans le suspens dramatique de l’œuvre. L’homogénéité de son de ces trois pupitres qui jouent l’un après l’autre contribue à la définition d’une ambiance sépulcrale poignante.

L’homogénéité est bien le maître mot de cette exécution. Tout au long du parcours sinueux et hétéroclite de cette suite symphonique du Crépuscule, l’orchestre entier sonne comme un seul instrument aux mille couleurs. Ce son organique qui émane de l’ensemble est la conséquence logique de l’art de Daniele Gatti. Le chef gère l’ensemble des pupitres avec sobriété, guidant l’écoute en indiquant avec précision les départs et ses intentions. Attentif au volume global de l’orchestre qu’il adapte parfaitement à l’acoustique de la salle, il réussit à maintenir la tension du discours musical sur le très long terme tout en mettant en valeur les nombreux détails de la partition. Saviez-vous que les violoncelles reprenaient le motif du cor de chasse de Siegfried en pizzicati après son énonciation par le cor dans le Voyage sur le Rhin ?

Après un extrait de la Mort de Siegfried où le spectateur a pu ressentir toute la dimension tragique et brutale de la scène, la célébrissime Marche funèbre parachève en apothéose tout le chemin parcouru. Le couronnement de cette immense trame bouleversante est le sommet du motif de l’épée, dont l’attaque percutante aura été mémorable. Un silence éloquent suivra les dernières notes, dans lesquelles résonnent toute la science de la progression et l’attention aux moindres détails du chef d’orchestre italien.

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Daniele Gatti dirige l'Orchestre de l'Opéra national de Paris au Festival de Pâques
© Caroline Doutre

Au retour de l’entracte, l’éclairage du mur de scène a changé : la structure en rectangles dorés fort à propos pour Wagner (était-ce une réminiscence de la grandeur du Walhalla ?) laisse place un ensemble de stries ondulées verticales bleutées. Si chaque motif représente un personnage d’Une vie de héros de Strauss, le choix est également de circonstance.

Comme lors de la première partie du concert, Daniele Gatti dirige par cœur : sa connaissance extrême de la partition lui permet de proposer une version claire de cette œuvre foisonnante facilement indigeste, notamment à la fin lorsque Strauss cite certains thèmes de ses poèmes symphoniques précédents. Sa battue semble plus claire pour les musiciens : les quelques décalages entre les pupitres de cordes pendant le Crépuscule ne sont plus que de vagues souvenirs oubliés. L’écriture musicale est d’ailleurs différente, chaque pupitre a ici sa vie propre tandis que chez Wagner tout était plus entrelacé.

L’orchestre caractérise bien les mouvements de l’œuvre qui décrivent autant de péripéties vécues par le personnage principal : Le Héros volontaire et enthousiaste des cordes, le piaillement incisif des Adversaires du Héros aux bois, l’atmosphère martiale du Champ de bataille du Héros aux percussions et cuivres pour une conclusion paisible unifiée. L’acoustique sèche de la salle dessert quelque peu Frédéric Laroque dans son interprétation du ô combien difficile solo de violon de La Compagne du Héros : les fins de phrases ne résonnent pas malgré d’intéressantes idées dans la variation du vibrato. Au cours de ce mouvement, Daniele Gatti réussit à lier solo et interventions orchestrales en évitant le piège du collage alterné de ces passages.

Après Siegfried et le Héros straussien, nous apprenons que la véritable héroïne de la soirée était Michèle Deschamps. Accompagnée par le maestro sur l’estrade depuis son cinquième pupitre des premiers violons, elle est applaudie chaleureusement par ses collègues et le public. La violoniste part à la retraite sur un très beau concert après 43 années de bons et loyaux services au sein d’une des maisons d’opéra les plus prestigieuses de la planète.


Le voyage de Pierre a été pris en charge par le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence.

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