Il n’est pas rare que la crème des orchestres britanniques visite le Concertgebouw Brugge. Les passages récents du Hallé Orchestra et du BBC Scottish Symphony Orchestra annoncent la venue du London Philharmonic Orchestra, qui abordera à nouveau la capitale de la Flandre-Occidentale au début 2019. Pouvoir entendre un orchestre britannique dans un programme plein de classiques britanniques offre en outre un attrait supplémentaire. Rien d’étonnant dès lors que le Concertgebouw fût bien rempli, même en ce dimanche après-midi ensoleillé, pour le chef Martyn Brabbins et sa suite. Brabbins est une éminence en matière de répertoire de sa patrie. Le violoncelliste Nicolas Altstaedt quant à lui, plus jeune d’une génération, conquiert le monde avec une discographie remarquée et diverse. La rencontre entre les deux ne s’est pas révélée une union miraculeuse, mais le concert dans sa totalité est tout de même devenu un événement à retenir. Ne fût-ce qu’en raison des qualités du BBC Scottish Symphony Orchestra, qui ne jouit pas de la célébrité internationale qu’il mérite uniquement à cause de la qualité de la concurrence locale.

Dans l’ouverture de Tannhäuser de Wagner, l’orchestre a pu montrer ce dont il était capable. Chose frappante : le Hallé Orchestra avait commencé également avec cette œuvre au Concertgebouw Brugge il y a quelques mois. Sous la baguette de Sir Mark Elder, l’ouverture fut disséquée en un entrelacement phénoménal d’éléments antagonistes – une piste qui découle logiquement du programme de l’opéra. Wagner y fait lutter le rôle principal avec l’amour, représenté d’une part par la sensuelle Venus et d’autre part la chaste Elisabeth. Dès que le matériau thématique s’est manifesté, le ventre de l’orchestre gronde sans cesse. En d’autres mots : lorsque l’aspect platonique est célébré comme idylle, le désir se fait entendre de cette façon, et vice-versa. Il est donc important pour le chef de comprendre et de présenter en tant que telles ces entités musicales contrastantes. Brabbins n’a cependant pas semblé concevoir l’ouverture comme un programme : sa lecture se basait sur un souhait de souligner la splendeur mélodique de cette œuvre, plus que sa signification. Pour ce faire, il disposait de quelques excellents atouts, comme sa capacité de célébrer les grands silences, ainsi qu’une puissante section des cuivres qui a rehaussé la finale avec des trombones et des cors aux tonalités parfaites. Une facette de la partition n’a cependant pas été relevée suffisamment. Par exemple, les remous et l’inquiétude dans les cordes : ils ont été mis de côté comme un fait divers. Il en allait de même des bois, dont les parties disparaissaient parfois dans le son global de l’ensemble de l’orchestre.

Un Tannhäuser avec un petit manque de choix vraiment piquants ? Ce fut en tout cas le prélude à une interprétation du Concerto pour violoncelle de Elgar dans lequel le violoncelliste a rendu le chef presque superflu. Ce qui a débuté avec un décalage de jeu entre le soliste et l’orchestre est devenu en fin de compte une exécution brusquée dans la perspective du violoncelliste. Altstaedt semblait en effet le seul à commander. Il a concrétisé les caractères avec beaucoup de sentiment, mais ne se sentait pas toujours secondé par l’orchestre, qui a systématiquement raté des chances pour dialoguer d’égal à égal avec le violoncelle. Brabbins s’est contenté d’assurer l’indispensable, c'est-à-dire d'aligner le mieux possible le soliste et les musiciens. Il a rarement été plus loin. L’opus 85 d’Elgar se prête pourtant très bien à une lecture où la partition est remise en question par les exécutants. 

Après la pause, Brabbins est ressorti des coulisses comme un nouvel homme. Pas sur le plan physique peut-être, dirigeant les Variations Enigma d’Elgar de main de maître. Alors qu’il s’était laissé conduire par le courant de composition dans les pièces précédentes, il a pris ici lui-même l’initiative. Il a non seulement montré clairement et à chaque fois l’aspect de variation, mais a également tenté de dégager de la partition un narratif global. Non sans succès, car avec « Nimrod » au centre de l’exécution, on aurait dit qu’il en propageait l’intimité et le silence comme principe directeur. Un principe qu’il a respecté également dans les variations plus humoristiques et exubérantes. Rarement la grandeur est devenue pompeuse – le cliché Elgar par excellence – et dominait généralement une clémence soulignée d’ailleurs par le fait que Nicolas Altstaedt s’est installé tout bonnement dans l’orchestre et appréciait clairement sa chaise à côté des autres violoncelles.

Brabbins a d’ailleurs prolongé la simplicité comme dénominateur esthétique dans le rappel. Sous la baguette de Brabbins, le « Salut d’amour » d’Elgar, interprété encore la semaine dernière par Yannick Nézet-Séguin et le Philadelphia Orchestra au BOZAR, n’a pas mijoté dans une sauce excessivement sentimentale, et a ému précisément grâce à l’absence de trop de larmoyant. Exactement ce qu’on qualifie de plus écossais qu’américain. Cela n’a pas échappé au public. Avec un épilogue réclamé par les applaudissements du public, les Écossais ont rappelé leur identité à la salle. Une sonorité des cordes comme des fiddles et deux cuivres qui faisaient un clin d’œil à une danse classique : le BBC Scottish Symphony Orchestra a ramené la couleur locale de chez lui, histoire de pouvoir faire passer avec le sourire le pathétique d’Elgar.

****1