Symphonie aux dimensions extraordinaires, avec ses six mouvements dont le premier à lui seul dure 40 minutes, la Troisième de Mahler dirigée par le maestro américain David Zinman, chef émérite de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich, a ébranlé les murs de l’Auditorium de Lyon ce samedi 4 février : ce fut un événement remarquable, dans lequel se trouvaient associés l’ONL, puis le mezzo-soprano Jennifer Johnston, la Maîtrise de l’Opéra de Lyon et un chœur de femmes issues des ensembles lyonnais Spirito, le Jeune Chœur symphonique, protagonistes vocaux des quatrième et cinquième mouvements.
Comme un seul homme, fiers, les neuf (!) cors attaquent l’œuvre avec flamme, bientôt réunis avec les percussions sourdes qui confèrent à ce début un air processionnel. Ce pupitre des vents décoiffera aujourd’hui ! La formation mahlérienne est colossale, on s’en doute, et c’est un plaisir rare de voir six percussionnistes à la fois s’éclater sur une bonne dizaine d’instruments.
Dans l’écriture très épisodique de ce mouvement-œuvre (d’ailleurs, Mahler prescrit une petite pause après l’introduction gigantesque), chaque nouvelle séquence développe un charme particulier par la qualité des solistes et la direction de David Zinman, qui travaille en finesse, intervenant beaucoup, incitant ici les seconds violons à sortir de l’ombre, là, encourageant le ravissant trio de clarinettes. C’est une énorme musique de film, se renouvelant perpétuellement. Les soli de trombone – le premier fait un peu penser aux sonorités du Requiem de Brahms – sont très chantés, pleins et mélancoliques. Jennifer Gilbert, violon solo, fait de son côté des propositions d’une extrême délicatesse. Et puis, étonnant changement de registre voulu par le compositeur, qui sollicite des voix quasi animales : le piccolo caquète, les cordes bourdonnent comme des insectes, alors que les violoncelles s’élancent pour un vol de rapace élégant au-dessus de la mêlée. Souvent, ce sont les timbales et la grosse caisse qui opèrent les transitions entre les différents épisodes, recentrant l’écoute sur leurs rythmes sourds. Comme d’un autre bout de la ville, un tambour militaire s’évertue, solitaire, en coulisses, puis on rentre dans le finale du Kräftig. Entschieden, une marche gaie et estivale qui repose sur la précision des contrebasses. Incroyable, comment David Zinman rassemble l’énergie collective, faisant monter l’intensité par un crescendo qui mène à une explosion finale telle qu’on en reste ébahi.