Exquise soirée de musique française consacrée à des œuvres de Cras, Debussy, Fauré et Ravel, grâce à de talentueux instrumentistes issus de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse. Le cadre en était la Grande Synagogue de Mulhouse, édifice lumineux, avec de belles ornementations, notamment au plafond et une bonne acoustique. Pour bien des auditeurs, ce concert était d'abord l'occasion d'écouter un compositeur à redécouvrir, fort célèbre et admiré, durant le premier tiers du XXème siècle : Jean Cras. Auteur étonnant, élève et ami de Henri Duparc, en même temps qu'officier général à la carrière prestigieuse dans la Marine Nationale mais aussi inventeur. On considère parfois son Quintette pour flûte, harpe, violon, alto et violoncelle (1928) proposé en ouverture du concert comme une préfiguration de son œuvre symphonique majeure : le Concerto pour piano (1931).

Dans le premier mouvement de ce quintette, une brève introduction à la flûte et à la harpe suivie de l'entrée successive des cordes met immédiatement en valeur la sonorité exemplaire de chaque instrument et la subtilité de leur jeu mené par la flûte. Le duo, flûte et harpe, pourrait être de nature à créer quelque atmosphère pastorale. Toutefois, l'interprétation congédiant tout lyrisme convenu invite plutôt à se laisser simplement pénétrer par l'impression d'un mouvement "assez animé" selon l'indication du compositeur. Sensation un peu analogue à celle du sac et du ressac des vagues, les gammes ascendantes et descendantes de la harpe avivant particulièrement cette image tout en soutenant avec les cordes, les éclats saisissants lancés par la flûte. Les chatoyantes modulations, l'entrecroisement complexe des lignes musicales confiées à chaque instrument, les ruptures de rythme, les traits inattendus, prennent une allure primesautière dont on sait gré aux musiciens d'en être les sémillants interprètes. Flûte et harpe se complètent brillamment au final, dans un étonnant et virtuose glissando ascendant. Le deuxième mouvement affirme encore le caractère de l'œuvre et les qualités de son interprétation. Construit comme un superbe dialogue entre la flûte et les cordes, il leur donne l'occasion de pleinement s'exprimer, offrant une place naturellement privilégiée à la flûte soliste de Lucile Salzmann-Broggia, magnifiquement engagée dans le registre aigu permettant de dominer le passage. Autre est la place de la harpe qui souligne continûment, dans une clarté remarquable, les bases harmoniques et rythmiques de l'ensemble.

Le troisième mouvement réunit cordes et flûte dans le medium où leur notable cohésion confère à ce moment plus lent, un esprit de recueillement, de méditation. Laissant cette atmosphère s'installer d'abord sans elle, la harpe se mêle à l'ensemble, faisant ressortir davantage encore, par ses intervalles, ses accords et ses glissandos généreusement exécutés, la richesse de la composition. Le mouvement final inauguré par une série de pizzicati et de notes détachées fait vibrer la formation dans un ensemble impeccable. Puis s'engage un développement au rythme dansant, ponctué de jaillissements auxquels contribue chaque partie faisant sonner avec brio la tessiture et le timbre de son instrument.

Pour les trois œuvres qui suivent, la formation accueille un nouveau soliste : le clarinettiste Maxime Penard et un second violon. La Rhapsodie pour clarinette et orchestre de Debussy est interprétée dans une adaptation de David Walter. Clarinette et flûte, parfaitement complices se complètent, se renforcent et brillent aisément au premier plan d'une partition ramenée à des lignes essentielles. On note, dès les premières mesures, le jeu intensément expressif de la clarinette évoquant une forme d'éveil, anticipant quelque peu le Prélude à l'après-midi d'un faune. Expressivité de la clarinette doublée d'une dextérité répondant à merveille aux exigences d'une partie initialement conçue pour une épreuve de conservatoire. Cordes et harpe se fondent dans un bel ensemble pour un dialogue soutenu avec la clarinette.

Le concert se poursuit puis s'achève avec Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré, dans une adaptation de David Walter encore, suivi de l'Introduction et allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes, de Maurice Ravel. Gabriel Fauré s'adresse à une sensibilité classique tout en l'appelant à entendre des harmonies d'une autre facture. Illustrant cette intention, chacun des instruments, sonne magnifiquement en un ensemble d'une parfaite cohésion. Les fines nuances de la partition sont rendues avec sensibilité. Ainsi, la célèbre Sicilienne vient-elle combler les attentes du public. L'Introduction et allegro de Maurice Ravel offre une brillante partie à la harpe d'Anne Spannagel-Voneau : virtuosité d'une fluidité aérienne ponctuant les transitions et éclatant dans la cadence de l'allegro.

Si la prestation des trois solistes a enthousiasmé les auditeurs, les cordes ont également reçu de chaleureux applaudissements saluant la rigueur, l'expressivité des violons, de l'alto, ainsi qu'un somptueux violoncelle. Un son puissant étonnamment capable de rivaliser avec un orchestre plus fourni, certaines œuvres interprétées par le septuor offrant en effet une version pour grand orchestre.

 

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