Alors que les abords du Musée d'Orsay grouillent de groupes de scolaires, son auditorium est comble d'un public qui n'est pas de première jeunesse ; le programme attendu est du sur-mesure pour illustrer l'exposition sur les années parisiennes de l'artiste américain John Singer Sargent, dans un format d'une heure sans pause idéal pour ce concert de midi.

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle © Sylvain Gripoix
Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle
© Sylvain Gripoix

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle ne sont pas des débutants à découvrir. L'une est la fille du violoncelliste Valentin Berlinsky, fondateur du Quatuor Borodine, et issue de la célèbre École Gnessine de Moscou, l'autre se décrit comme un électron libre du piano français. Le duo qu'ils forment à la scène comme à la ville a déjà brillamment démontré que leurs différences n'ont aucune incidence sur la réussite de leur aventure commune.

Le programme qu'ils ont choisi – ou qui leur a été suggéré – ne les mettra pas également à l'aise dans toutes les œuvres. Aussi séduisantes que certaines semblent être sur le papier, elles peuvent se révéler d'une inspiration rudimentaire. Ainsi en est-il de la première série de six pièces inscrite au programme, les Images d'Orient de Schumann. C'est sympathique, anecdotique, mais pas très passionnant et surtout bien peu schumannien. On pense plus souvent au piano de Tchaïkovski dont la production pour le clavier est aussi abondante que marginale. Le duo fait cependant ce qu'il peut pour rendre intéressante l'alternance de tableautins vifs ou lents. 

Tout aussi anecdotiques sont les pièces de Reynaldo Hahn, Trois Préludes sur des airs populaires irlandais... où l'on ne perçoit guère l'inspiration irlandaise. Peut-être ces aimables musiques de salon – composées d'ailleurs comme telles – gagneraient-elles à paraître plus alanguies, plus évanescentes sous les doigts du duo souvent dominé par la frappe impérieuse de Ludmila Berlinskaïa. 

Mais la suite du programme va nous redonner le meilleur de ce qu'on connaît du couple franco-russe, avec le petit bijou de Fauré, la suite Dolly. Ni l'apparente facilité technique, ni la simplicité mélodique de ses six épisodes n'empêchent les interprètes de la traiter comme le chef-d'œuvre qu'elle est, en donnant de la chair, du corps et de la sensualité à ce que des générations de jeunes filles en fleur ont jouée comme une aimable bluette. Les voix intermédiaires qui forment la trame d'une grande partie de la musique de Fauré sont dites avec une délicatesse, une justesse que seule une longue fréquentation de l'œuvre autorise.

Depuis le début du programme, la configuration du duo n'a pas changé : à Ancelle le bas du clavier, à Berlinskaïa le haut. On se demande s'il en sera ainsi jusqu'à la fin. La réponse vient avec la pièce que le virtuose américain Louis Moreau Gottschalk a tirée d'une jota aragonaise qui aura inspiré également Glinka et Saint-Saëns : Ancelle prend le dessus, même si plus d'une fois c'est Berlinskaïa qui tient la mélodie. Il y aura quelques enchevêtrements des mains et des bras, qui feront sourire le public, mais ne feront pas dévier les pianistes de la ligne mélodique fixée par le compositeur et garnie par lui de quantité de fioritures et d'arabesques.

Il paraît que John Sargent était fou de cette pièce qu'il jouait volontiers lui-même : la version à quatre mains d'« Aragon », extrait de la Suite espagnole d'Albeniz, nous est restituée avec le chic, la cambrure et la densité de son qu'on attendait. Ancelle et Berlinskaïa mettront un terme à cette heure exquise de musique avec un clin d'œil à la compositrice Cécile Chaminade, qui a toujours bénéficié en Amérique d'une aura bien supérieure à celle que la postérité lui a réservée en Europe, avec la brève Chaise à porteur.

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