Dirigés deux soirs de suite par le chef colombien Andrés Orozco-Estrada, les musiciens de la Staatskapelle de Berlin s’attaquent à un programme particulièrement bien équilibré pour satisfaire les oreilles du public comme l’énergie des artistes. On y retrouve Renaud Capuçon en soliste pour la création de Layal, pour violon et orchestre, du Toulousain Benjamin Attahir, ainsi que le Prélude à l’après-midi d’un faune et Petrouchka, deux œuvres-clés au tournant du XIXe au XXe siècle en ce qui concerne les réflexions sur le renouvellement du langage musical.

Renaud Capuçon
© Jean-François Leclercq / Virgin Classics

Commande de la Fondation Daniel Barenboim, la pièce centrale de ce programme devait être dirigée par le chef israélo-argentin qui, pour des raisons de santé, n’a finalement pas pu être présent pour ces deux concerts. Au violon, c’est Renaud Capuçon qui a l’honneur de donner cette première interprétation de Layal sur son Guarneri del Gesù. Ce n’est pas la première fois que le Français crée une des pièces de Benjamin Attahir. Il a également eu l’occasion de créer le double concerto Je / suis / Ju / dith pour soprano et violon avec Raquel Camarinha et l'Orchestre national du Capitole du Toulouse, ou encore la Istiraha, sonate pour violon et piano créée en en 2020 au festival Nouveaux Horizons au Grand Théâtre de Provence.

Layal signifie « Nuits » en arabe et nous emmène vers un univers sombre et déstabilisant. Comme l’explique Benjamin Attahir, il s’agit là d’une symphonie concertante plus que d’un concerto à proprement parler. Le soliste « fait partie de l’action et il peut mener autant qu’il peut suivre, il peut donner l’impulsion ou commenter ce qui se passe autour ». En ce sens, la pièce demande un effort à chaque pupitre de l’orchestre, les mettant successivement en avant.

Les cuivres et les percussions par exemple sont omniprésents. Dès les premières mesures, le tam-tam, la grosse caisse et le tuba emplissent le théâtre d’une atmosphère inquiétante et pesante. Concentré sur un enchaînement de doubles cordes, Capuçon est bien ancré au premier plan de la scène. La pièce ne laisse pas une seconde de repos aux musiciens comme au public. Le soliste n’est pas en confrontation avec l’orchestre, mais emporté avec lui dans une virée nocturne haletante. La tension est sensible et l’on a parfois l’impression d’assister à une course effrénée rythmée par des coups d’archet incisifs nous rappelant les compositions de Bernard Herrmann pour Psychose ou La Mort aux trousses.

On se souviendra également de très beaux passages entre le violon de Capuçon et le vibraphone, ou encore avec le violoncelle solo de Sennu Laine. Les phrases musicales s’enchaînent sans laisser le temps au public de s’installer confortablement dans une mélodie ou une harmonie familière. Le changement est incessant. Et cet ensemble demande un effort particulier au chef qui redouble d’attention et de précision lors des entrées. Après un finale pianissimo entre le soliste, les timbales et le piano, la pièce se clôture sur une salve d’applaudissements. Renaud Capuçon et Andrés Orozco-Estrada invitent le compositeur à les rejoindre sur le devant de la scène pour les saluts.

Pour contrebalancer l’énergie sombre de Layal, deux œuvres emplies de légèreté sont proposées en guise d’introduction et de conclusion. La soirée avait commencé avec Debussy et les célèbres chromatismes d’introduction du Prélude à l’après-midi d’un faune, parfaitement rendus par la flûte solo. Avec Petrouchka en deuxième partie de soirée, on explore un paysage musical plus lumineux et enjoué. Les musiciens sont en terrain connu et ils nous emmènent avec eux comme en balade sur un chemin familier. Le chef, lui aussi, est plus détendu et s’autorise des petits effets comiques avec le public lors des courtes interventions du contrebasson. La soirée s’achève comme elle a commencé : après une incursion nocturne, on retrouve un univers empreint de légèreté et de brillance, nous permettant de quitter le théâtre apaisés.

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