Accrochée au flanc d’une falaise lotoise, la citadelle mariale de Rocamadour n'est accessible que par un grand chemin de croix qui descend en boucles pieuses. Elle accueille en cette fin d'été la vingtième édition de son festival de musique sacrée. C'est toutefois à une vingtaine de kilomètres de là, à Souillac, connue pour son abbatiale et son alcool de prune, qu'est localisé le premier concert de la soirée du 21 août. Las, un orage lotois nous prive de la cour du château de la Treyne, initialement prévue, pour un plus triste Palais des Congrès. Qu’importe le flacon ! L’ivresse est là. Trois artistes vont nous faire sourire, mais aussi rêver, chanter, swinguer, avec leurs trois instruments populaires : la trompette débridée ou chantante de Lucienne Renaudin Vary, la guitare fine et rythmée de Thibaut Garcia et l’accordéon-orchestre de Félicien Brut.
La promesse du trio n’est guère tenue, mais au fond elle ne fonctionne pas bien ; seules les deux dernières pièces réunissent les trois artistes, notamment le Tango pour Claude (Nougaro, ndlr) de Richard Galliano, vivant mais un peu brouillon. Par contre, les duos accordéon-guitare et accordéon-trompette sont exceptionnels : les musiciens ont déjà joué ensemble à Rocamadour ou ailleurs et cela s’entend. On retient une Fantaisie slave de Carl Höhne où Lucienne est époustouflante, un medley de quatre valses musettes dans lesquelles Félicien transporte le public, des extraits de l'opéra Maria de Buenos Aires de Piazzolla pleins de surprises. Et plus encore, une magnifique transcription des Chansons populaires de Falla, où le piano et le chant sont sublimés par la guitare et la trompette.
En quelques centaines de mètres nous changeons radicalement de décor pour le second concert : l’abbatiale Sainte-Marie, magnifique édifice romano-byzantin, est l’écrin seyant pour accueillir l’alliance du mythique chœur britannique Tenebrae avec le jeune ensemble La Sportelle, émanation de Rocamadour dont la renommée croît à juste titre. Dans une obscurité presque parfaite, les volutes polyphoniques de Roland de Lassus partent dans notre dos et s’enroulent autour des coupoles. Les chanteurs s’avancent ensuite sur le Pange lingua, avant de s’installer dans le chœur pour une pièce de Philip Moore.
Fondateur et directeur artistique de Tenebrae, Nigel Short utilise toutes les ressources acoustiques de l’abbatiale, en positionnant les chanteurs, seuls ou en groupe, dans différents endroits du lieu. Cette spatialisation est intéressante, elle décale l’attention. Pourtant l’essentiel est ailleurs : l’alliance entre le timbre du chœur et la qualité de la réverbération est parfaite. Les extinctions notamment, dans le silence réclamé expressément en début de concert par Emmeran Rollin, le directeur du festival, sont confondantes de beauté. À ce niveau de maîtrise, ce n’est plus un ensemble, c’est une fusion !
Le programme propose un véritable voyage dans le temps, fait d'allers-retours entre XVIe et XXIe siècles : parmi les pièces contemporaines, on retiendra particulièrement And the swallow de Caroline Shaw, partition traversée de vibrations, de nuances extrêmes, de balancements harmoniques et rythmiques, une splendeur ; du côté des anciens, le Miserere d'Allegri est une perfection de diction, d’intention, de pureté de timbres. Lui répond le Miserere de James MacMilan, gourmand de formes. On goûte tout, de Gibbons à Owain Park, en passant par Rachmaninov et Holst.
Après ces deux événements, on quitte Souillac décidément séduit par l’un des charmes de ce festival atypique : sa capacité à alterner un programme populaire, bavard et jouissif, avec un concert introspectif, silencieux et spirituel.
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