Le crachin a cessé, le ciel a pris des reflets roses au couchant, tandis qu’on pénètre sur le promontoire qui domine la vallée du Clain, où a été édifié le TAP (Théâtre Auditorium de Poitiers) en 2008. On ressent une émotion singulière à découvrir ce soir une salle et un orchestre – l’Orchestre de Chambre de Nouvelle-Aquitaine – dans la ville où l’on a grandi, étudié, connu ses premières émotions musicales grâce aux Jeunesses musicales de France et aux quelques rares concerts de l'époque : Georges Cziffra, Yehudi et Hephzibah Menuhin, Christian Ferras, Henryk Szeryng, Alexis Weissenberg – tout de même ! – étaient ainsi passés par le chef-lieu de la Vienne…

Thibaut Garcia © Marco Borggreve / Warner Classics-Erato
Thibaut Garcia
© Marco Borggreve / Warner Classics-Erato

Ce soir, le programme est alléchant sur le papier : une compositrice française, Betsy Jolas, un concerto pour guitare sans doute choisi par le soliste, Thibaut Garcia, et une symphonie de Beethoven qu’on entend assez rarement en concert, la Deuxième. La belle salle carrée tapissée de bois blond, des murs au plafond, est loin d’être comble, même si on y voit plusieurs groupes d’enfants. 

Pour la première pièce, l’orchestre prend place dans une configuration inhabituelle, cordes à gauche et au centre, bois à droite. Le chef, Jean-François Heisser, s’avance d’un air las, saisit un micro et annonce, à peine audible, qu’on va bien entendre la compositrice française, 97 ans rappelle-t-il élégamment, mais surtout des pièces d'Heinrich Schütz, quatre psaumes orchestrés en 1996 par Betsy Jolas. On pense au travail de Respighi sur une somme de danses et airs antiques ou à Stravinsky composant son Monumentum pro Gesualdo. La marque personnelle de Betsy Jolas ? On la cherche, surtout dans la grisaille d’une direction apathique, qui laisse les musiciens se débrouiller comme ils peuvent. N’y avait-il pas meilleure idée pour honorer la doyenne des compositeurs français ?

Jean-François Heisser l’a annoncé d’entrée : puisqu’on est dans le registre de la musique ancienne avec Schütz/Jolas, Thibaut Garcia va offrir au public, en solo, une brève pièce de Marin Marais. C’est un moment de grâce, l’un des seuls de la soirée. Puis l’Orchestre de Chambre de Nouvelle-Aquitaine reprend place, dans un dispositif normal, pour le Premier Concerto de Castelnuovo-Tedesco (1938) composé deux ans avant le célébrissime Concierto de Aranjuez de Rodrigo. La proximité d’inspiration est patente et Thibaut Garcia va, une nouvelle fois, rappeler le maître musicien et magicien de la guitare qu’il est à quelques semaines de son trentième anniversaire. Le soliste est malheureusement plombé par un accompagnement sans relief ni couleurs dans une œuvre qui devrait appeler soleil et sensualité. Thibaut Garcia a bien fait de jouer son bis… avant le concerto.

En seconde partie, la Deuxième Symphonie de Beethoven (1803) s'annonce idéale pour vérifier les qualités acoustiques de la salle, en même temps que la pertinence artistique du couple orchestre-directeur musical que forment Jean-François Heisser et l’ONCA (ex-Orchestre de chambre de Poitiers) depuis… 2000 !

Pour la salle, le résultat est conforme à la réputation que lui ont faite nombre d’ensembles et d’artistes qui y ont joué et enregistré : clarté et précision du son, bel équilibre des registres. Pour la musique, c’est une autre affaire. Comme un vieux couple revenu de tout, Heisser et ses musiciens ne manquent pas de bonnes intentions, conservent de bons réflexes, mais les défauts qui n’ont pas (jamais ?) été corrigés – imprécision chronique des attaques, déséquilibre des pupitres – finissent par prendre le dessus.

Pourtant cette Deuxième Symphonie, faussement classique, qui regarde du côté des audaces d'un Haydn, ne manquerait pas d'atouts sous une houlette moins paresseuse. Les emprunts aux versions « historiquement informées » sont audibles, les rapports de tempo entre les quatre mouvements plutôt réussis. Il y a d’excellents musiciens dans l’orchestre, de belles couleurs (timbales baroques, vents fruités, cordes homogènes), mais on se dit qu’ils mériteraient vraiment d’avoir à leur tête du sang neuf, un chef (ou une cheffe) plus rigoureux dans sa gestique et plus créatif dans son approche artistique. On sait que l’ONCA est capable du meilleur avec des personnalités comme François-Xavier Roth qui connaît bien la salle et l’ensemble poitevins…

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