Célébrée tous les deux ans Porte de Pantin, la grand-messe du quatuor à cordes touche à sa fin en ce dimanche matin mais il est écrit que sa dernière journée sera mémorable : ce n’est pas tous les jours qu’on peut écouter les Casals, les Hagen, les Belcea et les Ébène dans la même journée, surtout depuis le début de la pandémie !

Le Cuarteto Casals
© Igor Cat

Si les deux derniers nommés connaîtront un concert de clôture perturbé par le Covid-19, les deux premiers quatuors livrent leurs programmes sans sourciller dans la belle Salle des concerts de la Cité de la musique, proposant une passionnante opposition de styles à distance. C’est au Cuarteto Casals que revient la responsabilité d’ouvrir la journée à 11h, avec un de ces Quatuors op. 20 de Haydn qui marquèrent tant le jeune Mozart. Munis d’archets classiques (ils changeront pour la suite de leur programme), les Espagnols se distinguent dans le soin porté aux articulations, la limpidité des phrases, la pureté de l’intonation, le tout dans un ensemble impeccable. À entendre ces tierces majeures basses dans les accords parfaits, à voir ces doigtés clairs (privilégiant harmoniques et cordes à vide), on devine que le moindre enchaînement mélodico-harmonique a fait l’objet d’une réflexion profonde et d’une discipline de fer. En résulte une performance plus proche de la lecture que du théâtre – les musiciens restant relativement statiques sur leurs chaises et ne poussant pas à outrance les contrastes dynamiques – mais pas moins convaincante pour autant : le texte haydnien parle avec une éloquence confondante, tant dans le choral suspendu du Poco adagio que dans les traits débridés du finale.

Le Quatuor Hagen
© Harald Hoffmann

À 15h30 au même endroit, c’est au tour des légendaires Hagen de prendre le relais avec Mozart et son Quatuor n° 20 K. 499. Les archets salzbourgeois proposent alors une version radicalement différente du style classique : ici, la texture du quatuor se fait palpitante, nourrie par un vibrato toujours expressif, les phrases font l’objet d’un soutien important qui ne laisse jamais reposer le discours, et l’ensemble n’hésite pas à monter en puissance dans les dynamiques. Les appuis du Menuetto sont franchement accentués pour faire ressortir sa proximité avec le ländler et, de manière générale, les thèmes entonnés avec autorité donnent plus d’une fois l’impression d’être à l’opéra. On regrettera en revanche une intonation parfois perfectible, qui n’ira pas en s’arrangeant dans le Quatuor n° 13 d'Antonín Dvořák après l’entracte – même si l’écriture parfois brouillonne du compositeur tchèque, spécialiste en développements superflus dans ses codas, ne favorise pas la clarté du propos. Le mouvement lent, en revanche, est un très grand moment de musique, les quartettistes trouvant un lyrisme singulier, soutenu par un jeu d’accompagnement très typé (pizzicati du second violon). Le silence d’église après les derniers accords en dira long.

Au centre de cette dixième Biennale de quatuors à cordes, Dvořák était également au programme du concert des Casals qui donnaient le matin des extraits des Cyprès, ensemble de mélodies transcrites pour quatuor. Le groupe espagnol procède pour l’occasion à un changement, Abel Tomàs laissant le premier violon à Vera Martínez Mehner qui, avec son vibrato serré, propose alors un tout autre timbre : le chant gagne en chaleur et en charme désuet dans ces petites perles où l’intonation est toujours aussi soignée. Les deux violons montrent ensuite une vraie gémellité dans un Quatuor op. 44 n° 1 de Mendelssohn conclu avec un brio épatant. Grands seigneurs, les Casals oseront s’aventurer en bis dans le redoutable deuxième mouvement de l’Opus 135 de Beethoven. Ajoutant à leur maîtrise du style classique des élans résolument modernes, les quartettistes achèveront ainsi de montrer leur prédilection pour la Première École de Vienne.

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