C’est une Philharmonie de Berlin quasi pleine qui accueille son orchestre et François-Xavier Roth, lors de la première d'un programme entre classiques et œuvres oubliées. Si le répertoire des Berliner Philharmoniker est déjà bien rempli, il s'élargit encore ce soir avec l’ouverture de Polyeucte composée par Paul Dukas en 1891. Morceau censé nous mettre en bouche pour le reste du concert, sa couleur est très sombre et sérieuse, à l’image de la tragédie de Corneille dont elle est inspirée. Le chef français dirige les pupitres des Berliner sans baguette mais avec rigueur et précision, à tel point que ce sont tous les doigts qui s'articulent pour donner les impulsions nécessaires à l'exécution impeccable des musiciens.

François-Xavier Roth dirige les Berliner Philharmoniker
© Stephan Rabold

Si le Deuxième Concerto pour violon de Béla Bartók est plus connu que Polyeucte, c'est loin d'être une œuvre plus légère et enjouée. Le caractère de la soirée avait bien été annoncé ! Véritable marathon musical, il demande aux interprètes ainsi qu'à la soliste une belle endurance et un souci de précision constant. Qui de mieux qu'Isabelle Faust pour relever le défi de ces quarante minutes d'expressivité pure ? Dès les premières mesures, la violoniste allemande fait vibrer son Stradivarius « La Belle au bois dormant » avec une intensité et une rondeur magnifiques qui la détachent de l'orchestre sans l'en séparer pour autant. Elle excelle notamment dans la cascade de chromatismes du premier mouvement, impressionnant par la virtuosité de son articulation.

Isabelle Faust à Berlin
© Stephan Rabold

Tout au long de l'œuvre, ses regards vers le public sont nombreux, mais on manquera peut-être d'un peu d’expressivité dans la complicité entre les deux têtes d'affiche. François-Xavier Roth n'ayant d'yeux que pour l'orchestre, le lien avec la soliste est sensible mais presque invisible. Il faut dire qu’il s’agit d'une œuvre-bloc pour l’orchestre où aucun des pupitres n’est particulièrement mis en avant. C'est un effort collectif auquel participe intensément le chef invité. 

En deuxième partie de concert, une œuvre encore une fois peu donnée vient renforcer l’ambiance ténébreuse de ce programme : La Damoiselle élue de Debussy. Œuvre de jeunesse, elle met en scène le fantôme d’une jeune femme décédée qui se languit de son amant dans l'au-delà. La soprano Julie Fuchs ayant dû se désister pour cause de maladie, c'est Anna Prohaska qui prend le relais au côté d'Adèle Charvet, irréprochable dans son rôle de récitante. La soprano autrichienne connaît la partition et l'incarne à merveille même si l’on sent beaucoup de regards et d’attention vers le pupitre qu’elle tient parfois à deux mains tant l’intensité de l’interprétation est forte. Elle est dans son rôle jusque dans sa tenue, une longue robe rouge d'un style médiéval rappelant les héroïnes des tableaux de Dante Gabriel Rossetti, dont l'un des poèmes a inspiré la composition de Debussy. Le Chœur de femmes de la Radio de Berlin porte véritablement l'œuvre en lui donnant la dimension mystique que voulait son auteur.

Anna Prohaska, Adèle Charvet, François-Xavier Roth, l'orchestre et le chœur
© Stephan Rabold

Pour clôturer la soirée, retour à Paul Dukas mais cette fois-ci avec l'une de ses partitions les plus données, L'Apprenti sorcier. En terrain connu et désormais bien échauffé par les trois œuvres qui ont précédé, l'orchestre et le chef s’octroient une petite douceur pour finir sur une note plus enjouée que le reste du programme. François-Xavier Roth s'autorise à ajouter de l'effet comique en ralentissant plus que de raison les entrées déjà amusantes des bassons et contrebassons. Les musiciens échangent des sourires entendus. Cette légèreté et cette gaieté sont les bienvenues pour contrebalancer in fine ce programme bien sombre !

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