À la Côte-Saint-André, c’est au cœur d’un paysage fait de villages entourés de vastes étendues agricoles que Berlioz a passé son enfance. En témoigne le musée qui lui est consacré, situé dans la demeure qui l’a vu grandir. Outre certains instruments lui ayant appartenu, on y trouve également des manuscrits autographes, ainsi que des correspondances provenant de la plume du maître. À quelques pas du musée se trouve l’église du village, qui arbore une acoustique riche et résonnante, au sein de laquelle se déroulent les récitals de fin de journée du Festival Berlioz. Retour sur les représentations proposées par Benjamin Grosvenor, Céline Dupas-Hutin et Christine Fonlupt.

En ce jeudi après-midi, le programme de salle annonce la Barcarolle op. 60 mais Grosvenor ouvre avec le Nocturne n° 20 en do dièse mineur de Chopin. D’emblée, le pianiste instille une atmosphère franche et assurée. Le ton est donné : l'interprétation sera tourmentée plutôt qu’introspective. Grosvenor aborde ensuite la majestueuse Sonate en si mineur de Liszt, véritable défi technique, dans un style virtuose. Avec un tempo d’une vélocité impressionnante, il guide l’auditoire dans une lecture empreinte d’urgence et d’épique. Son allure reste effrénée malgré les perles de sueur qui glissent de son front vers le clavier, témoignant de son engagement total – jusqu'à ses croisements des mains qu'il effectue avec une aisance impressionnante, ce qui confère une dimension visuelle à l’expérience sonore. La pièce tout entière est gouvernée par une tension ininterrompue, un repos impossible.
S’ensuit Le Tombeau de Couperin de Ravel, exécuté avec vivacité et éveil. Au sein de la cascade de notes articulées, Grosvenor insiste particulièrement sur la prononciation des ornements de la partition, ce qui a pour effet de rapprocher son style de celle de l’école de clavecin française de l’âge baroque. La fougue de l’artiste ne cesse pas dans la pièce suivante, toujours de Ravel, les Jeux d’eau. Le jeu est agile, souple et précis. En clôture de ce récital accompli, La Valse prend une teinte de dramaturgie explosive, faite de surprises et de fougue.
Le lendemain, une forme spectaculaire plus singulière prend place dans les murs de la petite église : la comédienne Céline Dupas-Hutin a adapté en monologue théâtral des textes biographiques de George Sand, que Christine Fonlupt s’apprête à accompagner au piano avec des œuvres de Chopin. L’oratrice livre une prestation intense, donnant vie aux textes biographiques de l’autrice de manière immersive. Les pensées et les émotions de George Sand semblent naturellement incarnées, établissant une connexion émotionnelle palpable avec le public.
Le livret dépeint les moments forts de la vie de l’artiste, de sa naissance à la mort de son bien-aimé Chopin. Évoluant dans un décor minimaliste composé d’une table et d’une chaise, Céline Dupas-Hutin s’adresse directement à l’auditoire. Les pièces interprétées par Christine Fonlupt sont choisies en fonction des ambiances évoquées dans le récit. La pianiste propose une interprétation souple et imprégnée de rubato pour les différentes Mazurkas, Études et Préludes programmés. Dans un souci de clarté du texte, elle prend soin de baisser la dynamique générale lors des passages où le texte vient se superposer à la musique.
Mais à l'exception de la Valse de bravoure de Liszt, qui insuffle puissance et dynamisme au concert, le texte semble prendre le pas sur la musique. Cela conduit à une exécution élégante et fluide, mais qui tend également vers l’uniformité. Heureusement, quelques morceaux, à l’image du Nocturne op. posthume n° 20, se trouvent mis en lumière par un jeu subtil de nuances. Entre couleur vivace et mystère, Christine Fonlupt propose une réflexion interprétative tout à fait intéressante.
On se réjouira enfin que ces représentations, toutes deux théâtrales à leur manière, aient su attirer les foules : que ce soit pour le récital de Grosvenor ou pour le monologue de George Sand, la petite église du Festival Berlioz n'a pas désempli.
Le voyage de Manon a été pris en charge par le Festival Berlioz.