Pour ce premier concert de la saison du Belgian National Orchestra à Bozar, l’orchestre et son directeur musical Antony Hermus faisaient preuve d’ambition dans un programme très prometteur.

Après une présentation bilingue et optimiste du concert par le chef néerlandais, la soirée s’ouvre sur la création belge de Eco… del vuoto de la compositrice Annelies Van Parys. Commandée à l’origine par l’orchestre du Concertgebouw au talentueux compositeur belge Luc Brewaeys et laissée à l’état d’esquisse au décès de ce dernier en 2015, l’œuvre inspirée par une citation de Dante fut reprise par Van Parys qui y incorpora les quarante mesures déjà écrites par son maître. Achevée en 2019 et créée en 2022 par l’orchestre amstellodamois, cette œuvre d’une douzaine de minutes où la compositrice montre à la fois une réelle maîtrise du matériau musical et sa capacité à tirer de chatoyantes couleurs de l’orchestre – on pense parfois à Lutosławski – s’écoute avec beaucoup d’intérêt et même de plaisir. Déjà enregistrée par la prestigieuse formation néerlandaise, elle sera encore régulièrement entendue à l’avenir, espérons-le !
Chouchou du public bruxellois depuis son triomphe au Concours Reine Elisabeth en 2013, Boris Giltburg est salué avec enthousiasme dès son arrivée sur scène, et installe dans le piano sa tablette (à laquelle il n'accordera par la suite pas le moindre regard) avant d’aborder le Troisième Concerto de Prokofiev. Soutenu par un orchestre enthousiaste, il aborde le premier mouvement d’une façon qu’on qualifiera volontiers de sportive, son toucher percussif mettant résolument l’accent sur le côté moderniste et iconoclaste de l’œuvre et privilégiant nettement la franchise à la poésie.
Après l’introduction orchestrale de l’Andantino con variazioni, Giltburg déclame la première variation avec beaucoup de clarté. Le galop de la deuxième, où les trompettes font du très beau travail, est mené comme il se doit à la cravache. Cependant, si le soliste fait face sans peur aux redoutables exigences de la partition dont il domine aisément tous les pièges, l’étonnement de l’entendre aborder les passages forte et fortissimo avec une sonorité trop souvent agressive se transforme en malaise dans un finale où, malgré quelques beaux solos à l’esprit pince-sans-rire tout à fait prokofiévien, le pianiste se met à taper de plus en plus dur au point que, chef et orchestre se trouvant eux aussi emportés dans une vaine surenchère de décibels, le concerto se termine dans une débauche sonore et une brutalité superflues.
Le BNO et Antony Hermus reviennent après l’entracte se mesurer à Une vie de héros de Richard Strauss, ce poème symphonique si exigeant tant pour l’orchestre que le chef. Tout au long des trois quarts d’heure de cette somptueuse musique, force est de constater que l’Orchestre National aborde cette œuvre extrêmement bien préparé et avec une évidente volonté de bien faire. Toutes les sections se montrent parfaitement à la hauteur, avec des cordes sonores et souples, des bois pleins de fantaisie et surtout des cuivres – à commencer par les cors – tout à fait à la hauteur de la redoutable tâche que leur réserve le compositeur.
Qui plus est, le Konzertmeister Alexei Moshkov incarne avec beaucoup de sûreté et sans minauderies inutiles la si importante figure de la Compagne du Héros. Si l’engagement et la sincérité du chef ne peuvent être mis en doute, force est de constater qu’il manque cependant à cette interprétation cet irrésistible élan juvénile, cette impétuosité et cette bravoure censés renverser tout devant eux et donner vie à ce qui n’est autrement qu’une belle démonstration de brillant savoir-faire orchestral.