Durant la brève conférence de presse qui précédait la première du spectacle d’ouverture de la saison de La Monnaie, Christina Scheppelmann, la nouvelle intendante du lieu, se présenta brièvement et, forte de 37 ans d’expérience dans le monde de l’art lyrique dans 9 maisons et 6 pays différents, exprima sa joie de présider à présent aux destinées de l’emblématique institution bruxelloise. Après avoir dit tout le bien qu’elle pensait de la mise en scène de Laurent Pelly et de la qualité de la distribution du Falstaff qui allait suivre, elle insista enfin sur la leçon à tirer de cet ultime opéra de Verdi, à savoir qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux et qu’un simple sourire est déjà une remise en question. 

Ce que l’on vit et entendit ensuite sur scène allait entièrement lui donner raison. Dans cet ultime et atypique opéra d’un Verdi octogénaire où tout repose sur l’homogénéité de la distribution et où aucun rôle n’est vraiment mis en vedette – si ce n’est, et encore, celui de Falstaff –, il importe avant tout d’avoir un ensemble de chanteurs-acteurs dont aucun ne peut tirer la couverture à lui.

<i>Falstaff</i> à La Monnaie &copy; Clärchen Baus
Falstaff à La Monnaie
© Clärchen Baus

C’est précisément ce parti pris de clarté et d’égale mise en valeur de tous les rôles qu'adopte Laurent Pelly (qui signe également les costumes) dans une mise en scène aussi classique qu’intelligente, dont la seule infidélité à la tradition est de situer l’action du livret shakespearien (adapté par Boito) avec une fine ironie dans une Angleterre, à présent délicieusement désuète, des années 1960.

Au début de l’opéra, c'est donc dans un petit pub que nous retrouvons un Falstaff à l’embonpoint marqué et à l’apparence très peu soignée (vêtement usés, barbe broussailleuse et longue chevelure grasse), avec ses acolytes Bardolfo et Pistola : le premier (Mikeldi Atxalandabaso, ténor de caractère vif et tranchant) est un petit punk nerveux à coiffure iroquois, le second (à qui Patrick Bolleire prête sa haute taille et son impressionnante voix de basse) tient à la fois d’un motard assez louche et d’un videur de bar. Quant au Docteur Caïus du ténor John Graham-Hall, il est vêtu dans le plus pur style du cadre moyen britannique des années 1960 et arbore en plus une moustache qui le fait étonnamment ressembler à l’acteur John Cleese.

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Falstaff à La Monnaie
© Clärchen Baus

La maison cossue de M. Ford nous propulse ensuite dans un autre monde. L’ingénieux décor de Barbara de Limburg, qui évoque fortement les improbables labyrinthes du graveur M.C. Escher, consiste en une partie centrale entourée d’escaliers qui ne conduisent nulle part sauf aux deux paliers suivants. Les costumes des chanteuses conservent un parfum on ne peut plus vintage : dans le rôle des deux bourgeoises sur lesquelles Falstaff a jeté son dévolu, la délicieuse et toute blonde Sally Matthews (Alice Ford) est tout de rose vêtue, tandis que Marvic Monreal (Meg) fait entendre son riche mezzo dans un bel ensemble lilas. Daniela Barcellona campe quant à elle une autoritaire et stricte Mrs Quickly.

Dans cet univers guindé, le couple d’amoureux de la jeune génération apporte une touche de fraîcheur bienvenue : très bien assortis, Benedetta Torre incarne une Nannetta exquise et Bogdan Volkov prête à son Fenton un lyrisme spontané et juvénile. Mais la plus belle illustration de ce qui nous est montré ici comme une bourgeoisie prude et étriquée est le superbe Ford de Lionel Lhote, peut-être plus outré encore par le manque de respect du malhabile Falstaff pour les convenances que par une compréhensible jalousie.

La scène finale dans le parc de Windsor est une vraie réussite. Tous les protagonistes, auxquels se joint l'impeccable Chœur de La Monnaie, se retrouvent dans cette mystérieuse atmosphère nocturne qui pourrait être propice au drame mais le sera ici à une farce qui se termine sur une belle note d’humanité. Plutôt que d’arborer des déguisements d’elfes ou de lutins comme le voudrait le livret, les protagonistes sont couverts d'une poudre blanchâtre qui leur donne un air de zombies effrayants tout à fait approprié – Pelly remplaçant ici simplement un monde surnaturel par un autre.

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Falstaff à La Monnaie
© Clärchen Baus

Après l’union du jeune couple et le dur retour à la réalité d’un Falstaff qui se sait à présent bien moins irrésistible qu’il ne le croyait, l’œuvre s’achève dans la bonne humeur sur la célèbre fugue « Tutto nel mondo è burla » entonnée par un Sir John Falstaff qu’aura incarné à la perfection un Sir Simon Keenlyside capable de rendre toutes les facettes d’un personnage à la fois ridicule et vaniteux, mais aussi rusé, pitoyable et attachant, bien plus humain que bouffon.

Enfin, on saluera une fois de plus la superbe prestation de l’Orchestre symphonique de La Monnaie idéalement conduit par un Alain Altinoglu dont la direction à la fois dynamique, chaleureuse et subtile n’appelle que des éloges.

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