C’était une première qui n’en était pas une. Le spectacle auquel on a assisté lundi soir à l’Opéra Comique avait déjà été créé en 2019, et ici même la critique s’était enthousiasmée pour L’Inondation coécrite – ils y tiennent – par l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat et le compositeur Francesco Filidei.
Personne ne sait plus qui était Evgueni Zamiatine (1884-1937), un Russe comme tant d’autres emballé par la Révolution bolchevique, comme tant d’autres déçu de ses dérives, finalement contraint à l’exil à Paris en 1931. On le cite ici, parce que les co-auteurs de L’Inondation se revendiquent explicitement de la nouvelle éponyme de Zamiatine publiée en 1929. Tchekhov n’est pas loin mais, avec son thème de la maternité impossible, L’Inondation de Zamiatine pourrait aussi être sous-titrée « Docteur Freud chez les Soviets ». Avant d’être portée à la scène, cette Inondation donnera, en 1994, un film franco-russe d’Igor Minaiev où Isabelle Huppert incarne, dans la langue de Pouchkine, le rôle de la Femme.
Le spectacle proposé à l’Opéra Comique jusqu’au 5 mars reprend tous les ingrédients du succès des premières représentations de septembre 2019. D’abord une « histoire » assez banale, prévisible : un couple qui ne peut pas avoir d’enfant recueille une adolescente qui vient de perdre son père. Après un orage, la montée des eaux d’un fleuve non déterminé (très bien suggéré en vidéo) provoque la panique. Tandis que le couple s’est réfugié chez les voisins du dessus, la Jeune Fille dort dans la chambre des enfants. La décrue, l’arrivée du printemps ramènent chacun chez soi. L’Homme et la Jeune Fille sont de plus en plus proches. La Femme délaissée, découvrant qu’elle est enceinte, en devient muette. Se sentant outragée, elle assassine la Jeune Fille et fait disparaître son corps. Après avoir accouché d’une fille, hantée par le souvenir de celle qu’elle a tuée, elle devient folle et succombe à son délire.
Ensuite un décor simple, explicite, signé Éric Soyer : un immeuble années 50 de trois étages en plan de coupe, sans grâce mais sans laideur. Vue directe sur quatre appartements, où se déroulent les différents épisodes, le rez-de-chaussée transformé en aquarium lors de l’inondation. Aucun mystère pour les spectateurs : l’adolescente adoptée par le couple infertile est tuée dès le début sous nos yeux par la Femme. Les deux heures qui suivent, sans pause, consisteront en un flash-back à la gradation savamment organisée, un thriller psychologique poignant.