Un fourgon de police stationné devant le Théâtre des Champs-Élysées, un filtrage des entrées qui prend beaucoup plus de temps que d’habitude, présagent-ils une soirée sous tension ? Le nouveau maître des lieux, Baptiste Charroing, a fait savoir qu'il maintenait d'autant plus son invitation aux Münchner Philharmoniker et à leur directeur musical désigné Lahav Shani, que la « désinvitation » du Festival de Flandre a agité la sphère musicale et politique européenne. En dehors d'une vocifération, dont on n’a pas bien compris si elle était de soutien ou de protestation, vite couverte par des bravos redoublant d’intensité à l’apparition sur scène de la violoniste Lisa Batiashvili et du chef, le concert s'est déroulé sans incident et achevé par une ovation debout.

Lahav Shani © Marco Borggreve
Lahav Shani
© Marco Borggreve

Sans doute stressés par la tension de ces derniers jours, le chef et l’orchestre ont toutefois semblé hésitants dans la longue introduction orchestrale du Concerto pour violon de Beethoven. Mais dès qu’entre le violon, on retrouve l’équilibre miraculeux qui caractérisait déjà le jeu de Lisa Batiashvili lorsque nous l’avions entendue dans la même œuvre il y a deux ans à la Philharmonie. Une image nous venait ce soir à la voir et à l’entendre dérouler le fil d'un si périlleux discours : une ardente pureté. Lisa Batiashvili se joue de toutes les difficultés, moins techniques que mentales, qui font du concerto de Beethoven une des œuvres parmi les plus redoutées des violonistes : rien pour se noyer dans la masse orchestrale, rien pour dissimuler une faiblesse passagère, le violon est toujours en pleine lumière, exposé à une justesse infaillible, à une virtuosité qui ne vaut jamais pour elle-même.

Le nuancier de la violoniste paraît infini mais ne vire jamais à l'exhibition, sauf peut-être lorsqu'elle s'engage dans les cadences interminables d'Alfred Schnittke (dans le premier comme dans le troisième mouvement). On sait que celles-ci ont été dédiées à Gidon Kremer, qui les joue raccourcies. Osera-t-on dire que ces collages qui convoquent Brahms, Berg, Bartók ou Chostakovitch paraissent singulièrement datés ? Quant aux Münchner Philharmoniker, on est en peine de définir leur identité sonore, dans une œuvre où Beethoven cantonne certes l'orchestre dans des figures d'accompagnement et de soutien harmonique. Follement applaudis, la violoniste et le chef reviennent jouer ensemble (piano et violon) une version bien sage, bien peu « Mitteleuropa » de Liebesleid de Kreisler. 

En seconde partie, on ne retrouvera malheureusement ni dans Schubert, ni dans Wagner, l'ardeur juvénile qu'on a souvent aimée chez Lahav Shani. Il y a quelques semaines, on louait, dans cette même salle, le romantisme frémissant d'un Schubert de 25 ans ; ce soir on a droit à une version embourgeoisée, comme dépourvue de vision, voire d'enjeu, de sa Symphonie « Inachevée ». C'est pris beaucoup trop lent pour un « Allegro moderato », l'orchestre sonne rond, douillet, mais comme indifférent à ce qu'il joue. On attend vainement le « con moto » de l'« Andante » qui suit, toute comme l'ineffable poésie des échanges clarinette/hautbois qui constituent le summum émotionnel de la symphonie ; on se demande pourquoi le chef a choisi cette œuvre s'il a si peu à en dire.

À un degré moindre, on éprouvera la même déception à l'écoute du Prélude et mort d'Isolde où, cette fois-ci, les Munichois semblent s'investir avec plus d'ardeur, faisant valoir – enfin – la chaleur de leurs cordes graves, mais il manque la tension qui rendrait mémorable cette interprétation. Le public debout saluera sans doute moins la qualité du concert que le courage du chef, de l'orchestre et de la direction du Théâtre des Champs-Élysées.

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